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les emprunts faits à l’ancien régime sur l’organisation des conseils et les pouvoirs des maires; puis une décision très importante, malgré son caractère négatif, et qui n’a été adoptée qu’après de mûres délibérations : le 12 novembre 1789, il fut décrété que des municipalités seraient établies « dans chaque ville, bourg et municipalité de campagne. » Donc, au moment même où l’on supprimait le mot, on admettait la chose, puisqu’on laissait à la commune son ancienne circonscription. Ce ne fut pas sans résistance : Thouret voulait créer des communes uniformes de six lieues sur six. « Vous augmenterez, disait-il, les forces de chaque municipalité en rassemblant à un seul point toutes celles d’un même territoire que leur dispersion aurait réduites à l’inertie. Au lieu d’atténuer la vigueur nationale en divisant le peuple par petites corporations, dans lesquelles tout sentiment généreux est étouffé par celui de l’impuissance, créez plutôt de grandes agrégations de citoyens, unis par des rapports habituels, confians et forts par cette union... » Il ajoutait, ce qui devait ébranler ses collègues : « Combien de municipalités, dans les campagnes, ne sont pas à la merci des seigneurs, des curés ou de quelques notables! » Malgré ces raisons, les constituans refusèrent de bouleverser la première division territoriale de la France. Ils se contentèrent, dans l’instruction du 30 mars 1790, d’inviter les communautés à se réunir en une seule municipalité, toutes les fois qu’elles le jugeraient possible. Ils écartèrent également la motion d’un député qui proposait d’établir dans les villes des municipalités principales, auxquelles ressortiraient celles des bourgs et villages, considérées comme secondaires.

Pour ma part, je leur sais autant de gré de cette sage réserve que de leurs plus belles créations. Sans doute, notre commune est souvent bien chétive ; mais au moins elle est historique, naturelle, et, partant, vivace. Elle conserve son nom celtique ou gallo-romain, son antique territoire. Elle est chère au paysan, qui ne comprendrait pas qu’on dérangeât un horizon tracé par les siècles; et puisque ce grand endormi s’y intéresse, si petite qu’elle soit, elle nous devient chère aussi. Il faut tâcher de remédier à sa faiblesse et à son isolement, mais non pas en la supprimant. L’expérience semble du reste justifier la constituante, car aucune des tentatives qui ont été faites plus tard pour élargir le territoire communal n’a réussi. Il n’y a pas lieu de s’arrêter à la proposition de Condorcet en 1793 : le moment était mal choisi. On ne discutait plus alors : on déclamait. Hérault de Séchelles répondit, une main sur son cœur, que c’était insulter les municipalités, à qui la révolution devait tant. Mais on sait quel fut le sort de la municipalité de canton, cette création éphémère du directoire : elle est généralement citée comme un