insensibles de l’homme jusqu’au dindon. Évidemment, l’autre société, celle que les lois ont établie entre les bipèdes sans plumes, ne vient qu’en seconde ligne. Aux environs des grandes villes, et surtout près de Paris, les villages forment une espèce de faubourg continu. Leur territoire, de plus en plus restreint, prend une valeur énorme. Il est sans cesse engraissé, saturé des détritus que produit la vie surabondante. Là, il ne s’agit pas de rassembler les brebis d’un troupeau dispersé, mais, au contraire, de voir clair dans cet enchevêtrement. Et partout quelle disproportion entre la grande ville, fière de ses vieilles traditions, toute pleine de sa personnalité, et le pauvre hameau qui atteint à peine l’âge de la conscience !
Que de nuances aussi dans la destinée des villes : chacune a eu son moment de gloire. Chinon, Blois, Fontainebleau, n’oublieront jamais qu’elles ont été résidences royales. Vendôme, Loches, Amboise, Parthenay, des centaines d’autres, ont été de petites capitales, des places fortes importantes qui soutenaient de terribles sièges. Au XIIe siècle, la possession de Gisors, sur la frontière du duché de Normandie, était une question de vie ou de mort pour le roi de France. Rien de plus changeant que cette apparente immobilité des murailles. Dans chacune des petites sociétés qu’elles enferment, selon les âges, la sève afflue ou se retire. On ne peut faire son tour de France sans rencontrer à chaque pas le témoignage de ces vicissitudes locales. Tel bourg n’a pas quitté sans regret le bord d’une petite rivière où campaient autrefois les légions romaines. On voit encore les fondations d’un amphithéâtre, juste en face la colline où l’herbe et les ronces recouvrent les circonvallations du camp. Quelques siècles plus tard, le nouveau village s’est cristallisé à l’ombre du château féodal, dont les remparts, rasés à fleur de terre, servent aujourd’hui de promenade publique. Plus tard, il fallut voyager de nouveau et se rapprocher de la route royale. Le vieux bourg se croyait arrivé au terme de sa carrière : vain espoir. Deux siècles se passent, c’est-à-dire deux jours pour un être de pierre ; et voilà un chemin de fer qui vient tout déranger, avec ses lignes géométriques. L’ancienne station gallo-romaine reprend sa course dans la direction de la voie ferrée. Combien de fois la vieille ville, à moitié endormie auprès de son église, contemple d’un œil jaloux l’enfant sorti de ses flancs, l’autre ville jeune, bruyante, animée, dont les maisons blanches font paraître ses murailles plus grises.
Partout la vie compense la mort. À côté des cités qui se sont doucement assoupies, après avoir vaillamment combattu sous la Ligue ou sous la Fronde, nous en verrons bien d’autres qui ont grandi trop vite, et dont les membres démesurés, pareils à ceux d’un adolescent,