Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Novgorod possédaient ensemble environ 10,000 désiatines ; Saint-Serge seul en possédait 7,000. Pour apprécier cette fortune immobilière, il ne faut pas oublier qu’en Russie, dans le nord surtout, où sont situés la plupart des couvens, il y a nombre de terres de 50,000, voire de 100,000 hectares et plus, et que souvent les revenus de ces immenses domaines sont inférieurs au revenu d’une ferme vingt fois moindre en Occident. Il n’en est pas moins vrai que certains couvens sont redevenus de grands propriétaires, à telle enseigne que l’on a pu se demander s’ils n’avaient pas le droit d’être représentés aux assemblées territoriales (zemstros).

Les terres ne forment, en tout cas, que la moindre partie de la fortune ou des revenus des monastères. Beaucoup possèdent en outre des capitaux que leurs supérieurs font valoir au mieux de leurs intérêts. On disait, il y a quelques années, que Solovetsk, cette ultima Thulé du monde monastique, Solovetsk de la Mer-Blanche, cet asile classique de la vie ascétique, avait perdu 600,000 roubles dans la banqueroute de Skopine. Plusieurs couvens des deux sexes ont été victimes du même sinistre financier. Abbés et abbesses, avec une avide ingénuité fréquente chez les gens d’église, avaient confié leurs économies à cette banque municipale qui servait aux déposans un intérêt de 6 1/2. Les affaires d’argent, les placemens de capitaux sont, dans la sainte Russie comme ailleurs, un des soucis des chefs de maisons religieuses. Quoique, à cet égard, les abus et les plaintes même soient rares, certains faits, tels que le procès de l’abbesse Métrophanie, sous Alexandre II, ont montré que le soin d’enrichir leur communauté entraînait parfois les saintes âmes à de profanes habiletés. D’une famille aristocratique fort bien en cour, elle-même ancienne freiline ou demoiselle d’honneur de l’impératrice, l’abbesse Métrophanie fut traduite en cour d’assises pour avoir employé, au profit de son couvent et de ses bonnes œuvres, des moyens peu réguliers, tels que captations, dois, faux. Le jury était composé de marchands, de petits bourgeois (mechtchanes), de paysans, c’est-à-dire des classes les plus respectueuses de la foi et de l’habit religieux : on eût pu craindre que la robe de l’accusée en imposât aux jurés de Moscou. L’ancienne freiline n’en fut pas moins condamnée. Quelques années plus tard, sous Alexandre III et sous l’administration de M. Pobédonostsef, il est fort douteux que la même abbesse eût été traduite devant le jury; en tout cas, d’après les nouveaux règlemens, l’affaire eût été jugée à huis-clos. Pour avoir été reconnue coupable par les tribunaux laïques, l’abbesse Métrophanie n’en a pas moins gardé la vénération de dévots admirateurs; pour quelques-uns, sa charité était tout son crime, et sa condamnation n’a été qu’un martyre.

A certains couvens russes, comme aux jésuites du XVIIIe siècle.