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cependant qu’en Grèce et dans les autres états orthodoxes, où les couvens, déjà bien réduits de nombre, semblent menacés d’une prochaine disparition. Ce n’est pas seulement que notre civilisation est mortelle à l’ascétisme oriental ; que l’activité ou la sécurité de la vie moderne éloigne du cloître beaucoup des âmes qui venaient y chercher un asile ; c’est que, en Orient, la vie religieuse ne s’est point, comme chez nous, successivement adaptée à toutes les évolutions de la société pour les seconder ou les arrêter ; c’est qu’elle ne s’y est point renouvelée par le travail ou par la charité.

La vie formaliste du moine russe, presque tout entière absorbée en pratiques machinales, a peu d’attraits pour les natures cultivées. Il se cache cependant, sous la robe noire du religieux, quelques hommes du monde, d’anciens officiers par exemple. J’ai entendu citer des hégoumènes qui avaient commandé des régimens avant de commander des couvens. Pareils au P. Zosime des Frères Karamazof de Dostoïevsky, ils avaient demandé à la cellule d’un monastère la paix ou l’oubli. Les anciens soldats ne sont pas rares parmi les moines ; sous le régime du long service militaire, beaucoup de vieux troupiers échangeaient l’uniforme contre le froc, et la caserne contre le cloître. Parmi les religieux sortis du peuple, plus d’un pourrait faire la même réponse que le moine de Vologda à l’Anglais Fletcher : « Pourquoi es-tu entré au couvent ? lui demandait l’envoyé de la reine Élisabeth. — Pour manger en paix. »

L’entretien de leurs couvens, le service de leurs églises, le chant des longs offices du rite grec, voilà la principale occupation des moines russes ; le travail des bras ou de la tête ne tient dans leur vie qu’une place secondaire. Selon l’usage des couvens grecs, le noviciat, pour la plupart, ne consiste guère qu’à servir les moines plus âgés. Le novice, comme l’indique son nom russe (poslouchnik), est une sorte de serviteur, on pourrait presque dire de domestique. Aussi, novice et frère lui ou frère convers sont-ils en russe synonvmes. Rien qui rappelle, dans ces couvens, la lente et scrupuleuse initiation donnée aux futurs religieux dans les noviciats des ordres catholiques. Le novice russe n’apprend guère de la vie monastique que la routine ; c’est elle qui le forme à l’existence toute mécanique de la plupart des moines.

On entend encore en Russie parler des richesses des couvens : il faut savoir ce que sont ces richesses. Les monastères russes ont perdu la plupart de leurs terres, ils ont conservé les objets mobiliers, les présens, les ex-voto amoncelés dans leur sein depuis des siècles. Rien en Italie ou en Espagne ne peut plus donner une idée de ces splendeurs ; l’or et l’argent revêtent les châsses des saints et l’iconostase de l’autel ; les perles et les pierreries couvrent les