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des moines reste stationnaire. Il n’y a là rien de comparable au spectacle offert naguère par l’Espagne ou l’Italie. En dépit des obstacles de tout genre apportés chez nous au recrutement des congrégations, la Russie orthodoxe, avec une population de fidèles presque double, compte cinq ou six fois moins de religieux, de frères ou de sœurs de toute sorte que la France catholique; peut-être en a-t-elle moins que la minuscule Belgique. Ce qui ne se retrouve guère qu’en Russie, ce sont les vastes cités monastiques, telles que Troïtsa ou Petchersk, encore peuplées de centaines de moines. Elles font revivre à nos yeux les légendaires colonies d’ascètes de l’Orient ou des îles de Lérins. La laure des catacombes de Kief contient 600 moines ou novices. Dans la même province, un couvent de femmes, dit de Florovo, renferme près de 500 religieuses. Une remarque encore à faire, c’est qu’en Russie, comme dans la France de l’ancien régime, il y a plus de couvens d’hommes que de couvens de femmes, ce qui, du reste, n’empêche pas les religieuses de l’emporter aujourd’hui par le nombre.

Aux moines officiellement enrégimentés dans les monastères de l’empire, il faut ajouter les irréguliers du monachisme, les Russes enrôlés dans les couvens du dehors, au Mont-Athos notamment. Un des vingt « couvens chefs » de la Sainte-Montagne, le Pantalemon ou Rossicon, en abrite 400 ou 500. D’autres occupent les ermitages de Saint-André et du prophète Élie, ou mènent isolément la vie de solitaires. Anachorètes ou cénobites, ces moines russes de l’Athos sont, pour la plupart, venus à l’Agion-Oros en simples pèlerins, quelques-uns encore enfans. La beauté du site, la douceur du climat, la facilité de l’existence, la contagion d’une pieuse oisiveté, les ont retenus. Ils vivent là en liberté, dans une molle contemplation, entre l’azur du ciel et la nappe bleue de la mer Egée, loin des règlemens et du contrôle du saint-synode impérial. Le gouvernement de Pétersbourg, tout en les soutenant dans leurs démêlés avec les caloyers grecs, ne daigne pas leur reconnaître le titre de moines, car les lois interdisent de prendre le voile sans autorisation. Il se défie de ces libres colons de la vieille république monacale. Loin d’en encourager l’émigration, il les traite à l’occasion en déserteurs ; il leur a plus d’une fois interdit le voyage et les quêtes dans la mère patrie. Les moines russes de l’Athos, au besoin déguisés en laïques, n’en continuent guère moins à faire en Russie de fructueuses collectes. Quêter pour les ermites de l’Athos est une ressource des aventuriers avides d’exploiter la crédulité populaire.

Malgré la faveur que lui témoigne encore le peuple, le monachisme, en Russie comme dans tout l’Orient, est en déclin, moins