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religieuse : c’est une sorte de théocratie patriarcale. En reprenant la triple devise : orthodoxie, nationalité, autocratie, les Aksakof et les Katkof ne faisaient que ramener la Russie aux beaux temps du règne de Nicolas. Ce qui est nouveau, c’est l’appel fait au clergé, c’est la confiance témoignée aux ministres de l’église, spécialement pour le grand problème de tous nos gouvernemens modernes, pour l’éducation et l’enseignement populaire. A l’église orthodoxe, toujours peu ambitieuse d’initiative, au clergé russe, hier encore universellement dédaigné, il a été assigné un rôle qui peut sembler au-dessus de leurs forces, et qu’ils n’ont point eu la présomption de convoiter.

On sait qu’à la tête de l’église nationale, Pierre le Grand a placé une assemblée de dignitaires ecclésiastiques nommés par le tsar. Près de ce « très saint synode » est un délégué de l’empereur portant le titre de procureur-général ou haut-procureur (ober-procouror). Ce fonctionnaire, qui personnifie le pouvoir civil, est toujours un laïque. Il doit, selon les instructions de Pierre le Grand, être l’œil du tsar. Sa fonction est de veiller à ce que toutes les affaires ecclésiastiques soient traitées conformément aux ukases impériaux. En Russie, il n’y a point de ministre des cultes. Le haut-procureur en tient lieu ; il a sa place au comité des ministres et ne relève que du maître. Les religions dissidentes dépendent du ministère de l’intérieur; l’église orthodoxe s’administre par le synode, sous le contrôle de son procureur. Ce dernier étant le fondé de pouvoir de l’empereur, c’est par lui que s’exercent tous les droits attribués au souverain. C’est lui qui propose et expédie les affaires, lui qui fait exécuter les mesures prises. Aucun acte synodal n’est valable sans sa confirmation ; il a un droit de veto dans le cas où les décisions de l’assemblée seraient contraires aux lois. Chaque année, il présente à l’empereur un rapport sur la situation générale de l’église, sur l’état du clergé et de l’orthodoxie dans l’empire et parfois au dehors.

Cette importante fonction, Pierre le Grand, désireux de faire marcher le clergé comme une armée, conseillait de la confier à un militaire, homme hardi et décidé. Sous Nicolas, le haut-procureur fut pendant longtemps un officier de cavalerie, aide-de-camp de l’empereur, le comte Protassof. De pareils choix pour un pareil poste n’avaient rien de très surprenant dans un pays alors habitué à voir les plus hautes fonctions civiles occupées par des généraux. L’impression était autre en Occident, où l’on se représentait un hussard rouge présidant en bottes éperonnées une assemblée d’évêques. Le haut-procureur a, depuis longtemps, cessé d’être un hussard ; de ce côté, il n’y a plus de motifs de susceptibilité pour la dignité de l’église, de raillerie ou de scandale pour l’étranger.