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les autres restreignent leur étalage. Les maçons retrouvent de l’ouvrage : on les emploie à pratiquer des cachettes dans les murailles ! De crainte que les routes ne soient coupées par les partis ennemis, on s’approvisionne comme pour un siège. Le décalitre de pommes de terre se vend 2 francs au lieu de 6 sous. Le riz, les légumes secs, le porc salé doublent de prix. Le peuple, affamé par cette hausse subite, murmure : si les riches prennent la nourriture des pauvres, on ira la chercher chez eux. Au gouvernement, l’inquiétude est extrême. L’impératrice ordonne des prières de quarante heures à Sainte-Geneviève. Le roi Joseph multiplie ses lettres à l’empereur, lui demandant ses instructions pour le cas où l’ennemi arriverait sous Paris. Le directeur des musées sollicite instamment l’autorisation d’emballer les tableaux du Louvre. Déjà une partie du trésor impérial est chargée dans des fourgons au milieu de la cour des Tuileries. Près des barrières, on entend ces cris : « Les Cosaques arrivent ! Fermez les boutiques ! »

La panique dura huit jours. On disait l’armée française en déroute, Troyes en flammes, le maréchal Mortier tué, le prince vice-connétable grièvement blessé. Six cents canons étaient tombés aux mains de l’ennemi. Les jeunes soldats avaient lâché pied, et l’empereur les avait fait sabrer par ses grenadiers à cheval. Les alliés exigeaient que Napoléon prît le titre de roi et cédât la Belgique, l’Italie, l’Alsace, la Franche-Comté, la Lorraine et la Bresse. La régence, ajoutait-on, a perdu tout espoir. Le roi Joseph, l’impératrice, les ministres sont au moment de partir pour Blois ou Tours ; la princesse de Neufchâtel, les duchesses de Rovigo et de Montebello sont parties. Si quelqu’un s’avisait d’exprimer ses doutes sur l’entrée imminente des alliés à Paris, on le soupçonnait d’être payé par la police. Au faubourg Saint-Germain, on précisait le jour de leur arrivée. Ce devait être le 11 février, le 12 au plus tard.


V.

Le 11 février, ce ne fut pas l’armée alliée qui arriva à Paris, ce fut le bulletin de Champaubert. Joseph reçut le courrier du quartier impérial, à dix heures du matin, comme il passait en revue dans la cour des Tuileries les 6,000 grenadiers et chasseurs de la garde nationale. Les vivats et les acclamations des miliciens, bientôt répétés par la foule qui assistait à la revue sur la place du Carrousel, accueillirent la nouvelle de la victoire ; les cris redoublèrent quand le petit roi de Rome, en uniforme de garde national, se montra à l’une des fenêtres du palais. La foule, rompant le cordon des troupes, se rua jusque dans les vestibules des Tuileries, aux cris de vive l’empereur ! À la Bourse, où la rente monta de plus de 3 fr.,