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attraction irrésistible y fera confluer les peuples les plus divers. Cette pierreuse colline, sans horizon, sans arbres et presque sans eau, fera tressaillir de joie les cœurs, à des milliers de lieues. Tout le monde dira comme le pieux Israélite : Lætatus sum in his quæ dicta sunt mihi : In domum Domini ibimus.

Chaque agrandissement d’Israël était un agrandissement de Iahvé. Le iahvéisme, jusqu’ici si peu organisé, va maintenant avoir une métropole et bientôt un temple, il faudra encore quatre cents ans pour que cette métropole devienne exclusive des autres lieux de culte ; mais la place est fixée : entre tant de collines que Iahvé aurait pu préférer, le choix est fait. Le champ du combat religieux est marqué.

David fut l’agent inconscient de ces grandes désignations humanitaires. Peu de natures paraissent avoir été moins religieuses ; peu d’adorateurs de Iahvé eurent moins le sentiment de ce qui devait faire l’avenir du iahvéisme, la justice. David était iahvéiste, comme Mésa, ce roi de Moab dont nous avons la confession, était camosiste. Iahvé était son Dieu protecteur, et Iahvé est un dieu qui fait réussir ses favoris. Iahvé, d’ailleurs, était fort utile ; il rendait des oracles précieux par l’éphod d’Abiatar. Tout se borna là : David et son entourage n’avaient aucune aversion pour le nom de Baal. Ce que cette religion de Iahvé devait devenir entre les mains des grands prophètes du VIIIe siècle. David, évidemment, n’en eut pas plus de pressentiment que n’en eurent Gédéon, Abimélek, Jephté.

Mais il fut le fondateur de Jérusalem et le père d’une dynastie intimement associée à l’œuvre d’Israël. Cela le désignait pour les légendes futures. Ce n’est jamais impunément qu’on touche, même d’une manière indirecte, aux grandes choses qui s’élaborent dans le secret de l’humanité.

L’histoire d’Israël nous fait assister de siècle en siècle à ces transformations. Le brigand d’Adullam et de Siklag prend peu à peu les allures d’un saint. Il sera l’auteur des Psaumes, le chorège sacré, le type du Sauveur futur. Jésus devra être fils de David ! La biographie évangélique sera faussée sur une foule de points par l’idée que la vie du Messie doit reproduire les traits de celle de David ! Les âmes pieuses, en se délectant des sentimens pleins de résignation et de tendre mélancolie contenus dans le plus beau des livres liturgiques, croiront être en communion avec ce bandit : l’humanité croira à la justice finale sur le témoignage de David, qui n’y pensa jamais, et de la Sibylle, qui n’a point existé. Teste David cum Sibylla ! O divine comédie !


ERNEST RENAN.