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agité par l’esprit de Dieu, furent étonnés, et un proverbe fut frappé à ce sujet : « Quoi, Saül aussi parmi les prophètes! » Saül s’imposa d’abord une certaine réserve sur ses relations avec Samuël. Il attendait qu’une occasion d’éclat vînt le désigner au choix des tribus.

Elle ne tarda pas à se présenter. La ville de Jabès en Galaad, vivement serrée par Nahas l’Ammonite, envoyait messages sur messages aux tribus pour qu’on vînt la secourir. Gibéa, centre très militaire, ressentit une vive émotion. Saül fut saisi par l’esprit de Dieu et entra dans des transports de colère. Il prit une paire de bœufs, les mit en pièces, et envoya les morceaux à tous les cantons d’Israël, avec des émissaires qui disaient : « Ainsi sera-t-il fait aux bœufs de quiconque ne suivra pas Saül. » Un mouvement extraordinaire s’empara du pays; l’affaire fut menée avec promptitude; Jabès en Galaad fut débloqué au bout de quelques jours.

C’était bien là un indice des grands progrès accomplis dans l’œuvre d’unification d’Israël. Benjamin se levant pour voler au secours d’une ville aussi éloignée que Jabès, voilà un fait tout nouveau. Le héros benjaminite qui l’avait réalisé était de droit roi d’Israël. Il y eut des signes d’opposition, que Samuël paraît avoir calmés. Le prophète avait fixé Galgal comme le lieu où l’on devait procédera l’établissement de la royauté. Il fut fait comme il l’avait voulu. A Galgal, le peuple étant assemblé, Saül fut proclamé roi d’Israël « en présence de Iahvé. » On fit des sacrifices d’actions de grâces. Le peuple se livra, avec Saül, à de grandes réjouissances.

D’après ce récit, de beaucoup le plus authentique, la royauté est une bonne chose. C’est Dieu qui la donne au peuple, sans qu’il l’ait demandée, comme une sauvegarde. Tout se fait avec la connivence de Samuël. Plus tard, on raconta l’événement d’une tout autre manière. On supposa que Samuël, devenu vieux, établit ses deux fils, Joël et Abiah, juges sur Israël, mais que ceux-ci, loin d’imiter leur père, se laissèrent corrompre, reçurent des cadeaux, firent fléchir la justice. Alors tous les vieillards d’Israël seraient venus trouver Samuël à Rama, et lui auraient demandé un roi pour les gouverner, « comme en ont tous les peuples. » Non sans de vives objections, et après leur avoir tracé un tableau fort sobre des abus de la royauté, Samuël aurait consenti à contre cœur.

Ce sont là les sentimens qu’éprouvèrent en effet les prophètes à une époque bien plus moderne. On les prêta rétrospectivement à Samuël. Les hommes de Dieu, les prophètes qui avaient pour idéal de revenir sans cesse à l’ancienne vie patriarcale, et qui trouvaient le plus souvent dans la royauté un obstacle à leurs utopies, voyaient une sorte de sacrilège en la transformation qui fit d’Israël un pays