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même. » Passant par bonds et sans effort d’un pôle à l’autre de l’intelligence, « rien ne lui semblait trop grand ou trop trivial, qui pouvait servir à éclairer une vérité » et à convaincre une âme. Dans tout ce qu’il disait, on sentait « une pitié infinie » pour l’infirmité humaine ; mais c’était la pitié angélique, la pitié de l’être supérieur qui ne connaît point ces défaillances. Prêchait-il, « tous ses mouvemens, toutes ses paroles semblaient s’adresser à chacun de ses auditeurs en particulier, comme ces portraits dont chaque spectateur croit sentir le regard dirigé sur soi. » Les phrases les plus simples, les vérités auprès desquelles on avait passé vingt fois sans s’arrêter, perdaient sur ses lèvres leur banalité. On les recueillait, haletant, et tout à coup on voyait ce qu’on n’avait jamais vu. Il était si sûr de lui-même, il présentait avec tant de force les argumens des philosophes qu’il risquait de faire des incrédules. Mais bientôt le spectacle et la contagion de sa foi sereine reprenaient les âmes qu’il avait un moment découragées. Au besoin, son affirmation eût suffi. Il y avait alors, à Oxford, un mot qui répondait à toutes les objections : Credo in Neumannum. Pour s’emparer ainsi de la jeunesse, il faut être un homme de génie, un saint ou un magicien, et peut-être tout cela à la fois.

L’année finie, le jeune Froude alla passer ses vacances dans une famille de protestans irlandais. C’étaient des « évangéliques, » nuance sévère et un peu puritaine de l’église établie. Leur sérieux, leur simplicité enchanta James-Anthony, et le jeta dans de grands doutes. S’il est vrai, pensait-il, que l’on doive juger l’arbre à ses fruits, la vie de ces gens prouvait encore plus que les argumens du docteur Newman. En effet, l’Anglais s’élève rarement à la conception sublime de la virginité ecclésiastique : la vertu se présente à son esprit sous la forme d’un patriarche, au centre d’un groupe de jeunes gens robustes et de jeunes filles rougissantes.

Sur une table, le jeune étudiant trouva un livre qu’on ne lisait guère à Oxford, et qui, sans doute, n’avait point de place dans la bibliothèque de l’archidiacre, le Voyage du pèlerin, de Bunyan. Le vieil et rude esprit calviniste, l’âme populaire, dans sa grossière énergie, bornée, violente, vindicative, capable, néanmoins, de tendresse et de poésie, se révélait au futur historien de la réforme. Il ressentit un choc, comme tout homme qui rencontre pour la première fois, dans la vie ou dans les livres, la famille d’esprits à laquelle il appartient.

Après les vacances, le jeune Froude rentra dans le cercle enchanté. C’est à ce moment que Newman publia le fameux traité n° 90, d’où date le néo-catholicisme anglais, — catholicisme sans le pape, cela va sans dire. Le docteur montrait, dans ce traité, que les croyances catholiques pouvaient se concilier avec les trente-neuf articles. On