Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/699

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’après en avoir essuyé les fureurs, c’est à celles des bonapartistes qu’il ne craint pas de se dévouer aujourd’hui. S’il est encore permis de parler comme l’on pense, et de ne vouloir dépendre que de soi-même, sachons-lui eu donc gré, comme d’une preuve ou d’un exemple de désintéressement, assez rare en tout temps, mais surtout de nos jours. Donnons-lui l’éloge, qui n’est pas médiocre, d’avoir toujours mis la sincérité de ses convictions et l’amour de sa vérité au-dessus des approbations populaires, du succès même, et plus d’une fois, peut-être, au-dessus de ses propres inclinations. Et, moins obstinés dans nos préjugés historiques, ajoutons enfin que dans son Napoléon, comme dans sa Révolution, comme dans son Ancien régime, parmi les erreurs, il y a bien des vérités mêlées, des vérités fortes et neuves, des vérités contre lesquelles on ne prévaudra pas.

Car j’admire l’air dont ses contradicteurs, et en particulier le prince Napoléon, veulent bit n lui dire qu’il n’a pas ce qu’il faut pour parler de Napoléon ou de la révolution. Mais qui est-ce qui a ce qu’il faut, alors, pour juger de Napoléon? Frédéric ou Catherine, peut-être, ainsi que le demandait Napoléon lui-même, « ses pairs, » ou, en d’autres termes, ceux qui, nés comme lui pour la guerre et le commandement, ne peuvent que s’admirer eux-mêmes, se justifier, et se glorifier en lui? Et qui est-ce qui jugera de la révolution? Danton sans doute ou Robespierre, c’est-à-dire ceux qui furent la révolution même? Non; ce qui les jugera, c’est l’opinion moyenne; et ce qui fera, ce qui modifiera, ce qui corrigera l’opinion moyenne, ce seront les historiens; et parmi les historiens de ce temps, quoi qu’en ait le prince Napoléon, ce sera M. Taine, pour une large part. Il était bon, d’ailleurs, que le prince Napoléon, avec l’autorité qui lui appartient, essayât de montrer ce qui manquait au Napoléon de M. Taine. On a vu qu’en plus d’un point il l’avait fait avec force, mais en plus d’un point aussi avec moins de succès que de talent. différent en ceci du Napoléon de M. Taine, le sien ressemble beaucoup à celui que nous connaissons tous. Mais ce n’est pas à dire qu’il soit le vrai ; et s’il y a quelques raisons, — dont nous avons tâché d’indiquer les principales, — pour que le Napoléon de M. Taine ne soit pas conforme à l’exacte vérité, il y en a quelques-unes au si pour qu’un esprit de la probité, de la vigueur et de l’éclat de celui de M. Taine, ne se soit pas inutilement appliqué à nous donner un nouveau portrait de cet homme extraordinaire.


F. BRUNETlÈRE.