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prétentions dynastiques, la figure du fondateur de la France contemporaine et du dieu même de la guerre. Malheureusement, au lieu de cela c’est à M. Taine lui-même, c’est à sa méthode analytique, c’est aux témoins dont s’autorisait M. Taine que le prince Napoléon a cru devoir s’en prendre, comme un savant dans une académie, qui discuterait sur la valeur ou l’authenticité d’un texte, mais, de plus, avec une liberté de langage et une vivacité de plume qu’en toute autre occasion j’oserais qualifier d’outrageuse.

C’est en effet une condition malheureuse des princes, quand ils nous font l’honneur de discuter avec nous, qu’ils y soient tenus d’une modération, d’une réserve et d’une courtoisie plus grandes encore que les nôtres. On pensera donc unanimement qu’il ne convenait pas au prince Napoléon de traiter M. Taine d’un ton sur lequel M. Taine ne voudrait pas lui répondre, par respect même pour le grand nom qu’on l’accuse d’avoir diffamé. On pensera également qu’il ne lui convenait pas, en parlant de Miot de Mélito, par exemple, ou de tant d’autres serviteurs de l’empire, de paraître ignorer que les princes, eux aussi, demeurent les obligés de ceux qui les ont bien servis. Peut-être même pensera-t-on bien qu’il ne lui convenait pas, en discutant ou en contredisant les Mémoires de Mme de Rémusat, d’oublier sous quels auspices les cendres de l’empereur sont rentrées autrefois dans sa ville de Paris. Mais ce que l’on pensera surtout, c’est qu’il avait autre chose à faire que d’épiloguer sur des témoignages, et beaucoup mieux à dire, quelque chose de plus péremptoire, de plus démonstratif, et de plus littéraire par surcroît, que d’appeler M. Taine des noms d’ « Entomologiste, » de « Matérialiste, » de « Pessimiste, n de « Démolisseur, » d’ « Iconoclaste » et de « Déboulonneur. »

Non pas, sans doute, que M. Taine, et nous l’avons dit plus d’une fois, ici même, avec une entière liberté, s’il a toujours mis beaucoup de patience et de conscience dans la recherche de ses documens, ait toujours mis autant de critique et de discernement dans l’emploi qu’il en faisait. On ne s’explique pas plus qu’il se soit servi dans son Napoléon du témoignage de Bourrienne, par exemple, que naguère, dans sa Révolution de celui de George Duval, ou encore, dans son Ancien régime, de celui du fameux Soulavie. Les documens de M. Taine, en général, ne lui servent point à établir ses raisonnemens ; mais il commence par faire son siège ; et alors il consulte sa bibliothèque, ou il se rend aux Archives, pour y trouver des documens qui corroborent ses raisonnemens. On ne s’explique pas davantage, — et le prince Napoléon a raison encore en ce point, — la facilité véritablement singulière, indifférente et inique à force d’impartialité, dont M. Taine, accueille pour les faire entrer dans l’histoire, les anecdotes les plus invraisemblables, ou les jugemens les plus calomnieux. Qui croira que pour prouver « que jamais