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dans leurs combinaisons infinies l’image qu’il poursuivait, ou, par un effet opposé, cherchant à donner un corps, une forme, à ces masses ondoyantes et insaisissables!

Les ouvrages de la jeunesse de Léonard ont été mal partagés. De la Méduse, cette édition augmentée et corrigée de la fameuse rondache, il ne nous reste que la description de Vasari. « Il prit fantaisie à Léonard, raconte le biographe, de peindre à l’huile une tête de Méduse ; des serpens qui se nouent et s’entrelacent de mille façons forment sa chevelure, invention la plus bizarre et la plus étrange qu’on puisse imaginer. Comme il fallait beaucoup de temps pour mener cette tête à fin, il la laissa inachevée, ainsi qu’il faisait presque toujours. » On a cru retrouver cet ouvrage dans un tableau du musée des Offices représentant le même sujet ; mais que nos lecteurs aient le courage de sacrifier une illusion : aujourd’hui, les connaisseurs sont d’accord pour déclarer que le tableau des Offices est, sans doute aucun, postérieur à Léonard, et qu’il a peut-être même été exécuté d’après la description faite par Vasari.

Le carton de la Tentation d’Adam et d’Ève a eu le même sort que la Méduse. Ici encore, il nous faut nous contenter de la description de Vasari : « On confia à Léonard un carton d’après lequel on devait exécuter, en France, une portière tissue de soie et d’or, destinée au roi de Portugal. Ce carton représentait Adam et Eve dans le paradis terrestre, au moment de leur désobéissance. Léonard dessina, en grisaille et à la brosse, plusieurs animaux dans une prairie émaillée de fleurs, qu’il rendit avec une précision et une vérité inouïes. Les feuilles et les branches d’un figuier sont exécutées avec une telle patience et un tel amour qu’on ne peut vraiment comprendre la constance de ce talent. On voit aussi un palmier auquel il a su donner un si grand ressort par la disposition et la parfaite entente des courbures de ses palmes, que nul autre n’y serait arrivé. Malheureusement la portière fut abandonnée, et le carton est aujourd’hui dans la maison fortunée du magnifique Octavien de Médicis, auquel il a été donné, il y a peu de temps, par l’oncle de Léonard. »

Dans ces dernières années, les connaisseurs les plus autorisés, le baron de Liphart, le docteur Bode, ont mis en avant le nom de Léonard pour la charmante Annonciation du musée des Offices, tableau autrefois attribué à Ridolfo Ghirlandajo. L’œuvre est de tout point digne de ce pinceau magique : la grâce et la fraîcheur des figures, délicieusement juvéniles, avec leurs cheveux coquettement frisés, leurs draperies d’un arrangement exquis, le fini et la poésie du paysage, autant d’argumens en faveur de Léonard. L’ange, un genou en terre, rappelle les attitudes si pleines de componction de fra Angelico; il se rapproche également par certains côtés de l’ange placé par Lorenzo