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plus, il révéla à son maître ébloui des sources de beauté que celui-ci n’avait pas soupçonnées, mais qu’il eut à peine le temps d’exploiter. Et cependant un contrat tacite et une dette réciproque s’établirent entre les deux artistes, et c’est à juste titre que leurs noms sont inséparables dans l’histoire de l’art ; car si Léonard a eu sa part, sa très grande part dans les progrès de son maître, dont les derniers ouvrages témoignent véritablement d’une inspiration supérieure, en revanche le patient, laborieux et opiniâtre Verrocchio lui apprit à penser et à chercher, ce qui n’était pas peu de chose. À la fois orfèvre, perspectiviste, sculpteur, graveur, peintre et musicien, cet esprit éminemment curieux et passablement inquiet ne pouvait manquer d’ouvrir à son élève les horizons les plus variés, trop variés même, car l’éparpillement des forces était dès lors le plus grave danger qui menaçât le jeune Léonard.

À côté du maître essentiellement suggestif, Léonard rencontra dans l’atelier de Verrocchio plusieurs condisciples qui, par la suite, sans égaler sa gloire, ont conquis un rang brillant dans les annales de la peinture. Le principal d’entre eux fut le Pérugin. Né en 1446, par conséquent de six ans plus âgé que Léonard, le Pérugin avait traversé les plus dures épreuves avant de parvenir à la notoriété, peut-être même avant de pouvoir entrer dans l’atelier d’un maître aussi réputé que Verrocchio. Pendant de longs mois, nous dit Vasari, il n’eut pour lit qu’un méchant coffre de bois et se vit réduit à travailler des nuits entières pour gagner sa subsistance. On ignore la date de son entrée chez maître Verrocchio, aussi bien que la date de sa sortie. On est même tenté de révoquer en doute les rapports des deux artistes. En effet, Verrocchio ne cultivait qu’accidentellement la peinture, et il n’y brilla point, tant s’en faut ; par état, on l’a vu, il était orfèvre ; il devint sculpteur à force de volonté. Le Pérugin, au contraire, différent en cela de la plupart des artistes véritablement universels et encyclopédiques de son temps, n’était que peintre, rien de plus : qu’aurait-il été apprendre chez un maître à qui la pratique de cet art était à peu près étrangère ! En outre, si l’on s’attache aux analogies entre les productions de Verrocchio et celles de ses deux élèves incontestés, Léonard de Vinci et Lorenzo di Credi, puis aux traces de parenté que les productions de ces deux derniers offrent entre elles, on sera forcé de reconnaître que la manière du Pérugin, à aucune période d’une carrière extraordinairement féconde, n’a le moindre air de famille avec celle de son prétendu maître ou de ses prétendus condisciples. Sa gamme luisante et ambrée, ses contours si nettement accusés, et, par-dessus tout, ses types de prédilection, exclusivement empruntés à l’Ombrie, avec toutes les pauvretés de la race ombrienne, lui appartiennent en propre. Tout au plus son séjour à Florence,