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a pu voir dans Léonard de Vinci, qui réunissait à une beauté physique au-dessus de tout éloge une grâce infinie dans tous ses actes ; quant à son talent, il était tel, que n’importe quelle difficulté se présentait à son esprit, il la résolvait sans effort. Chez lui, la dextérité s’alliait à une force très grande, l’esprit et le courage avaient en lui quelque chose de royal et de magnanime. Enfin, sa réputation grandit tellement, que, répandue partout de son vivant, elle s’étendit encore davantage après sa mort. » Vasari a surtout une belle expression, intraduisible, pour peindre la majesté de la figure : Lo splendor dell’ aria sua, che bellissimo era, rissereneva ogni anima mesto.

Déjà la Renaissance avait compté une de ces organisations exceptionnelles, unissant aux plus rares aptitudes de l’esprit tous les dons du corps, la beauté, l’adresse, la force. À la fois mathématicien, poète, musicien, philosophe, architecte, sculpteur, disciple fervent des anciens et novateur hardi, Léon-Baptiste Alberti, le grand penseur et le grand artiste florentin, excellait dans tous les exercices physiques. Les chevaux les plus sauvages tremblaient devant lui ; il savait sauter à pieds joints par-dessus les épaules d’un adulte ; dans la cathédrale de Florence il lançait en l’air une pièce de monnaie avec une telle force qu’on l’entendait résonner contre la voûte du gigantesque édifice. Le temple de Saint-François à Rimini, le palais Ruccellaï à Florence, l’invention de la chambre claire, les plus anciens vers libres faits dans la langue italienne, la réorganisation du théâtre italien, les traités de la peinture, de la sculpture, de l’architecture, et tant d’autres œuvres supérieures, tels sont les titres qui recommandent Alberti à l’admiration, à la gratitude de la postérité. Mais la Renaissance, en approchant de la maturité, devait donner à un autre enfant de Florence encore plus de puissance, encore plus d’envergure. Comparé à Léonard, combien l’esprit d’Alberti ne paraît-il pas plus compassé, plus étroit, plus timoré !

Ces facultés puissantes de l’esprit ne nuisaient pas aux qualités du cœur. De même que Raphaël, Léonard se distinguait par sa bonté infinie ; de même que lui, il témoignait de l’intérêt et prodiguait de l’affection jusqu’aux animaux privés d’intelligence. Léonard, nous dit Vasari, avait tant de séduction dans ses manières et dans sa conversation, qu’il gagnait tous les cœurs. Aussi, n’ayant en quelque sorte rien à lui, et travaillant peu, il trouvait moyen d’avoir toujours des domestiques, ainsi que des chevaux, qu’il aimait beaucoup, comme en thèse générale toutes les autres sortes d’animaux ; il élevait et dressait ceux-ci avec autant d’amour que de patience. Souvent, en passant par les endroits où l’on vendait des oiseaux, il les achetait et, les retirant lui-même de leur cage, il