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l’intérieur, vous ne trouvez que nudité et pauvreté ; des parois n’ayant pour tout ornement qu’un crépi ; le béton ou une couche de briques tenant lieu de parquet ; peu de meubles, et des plus simples ; ni tapis ni tentures, rien qui éveille l’idée du confort, pour ne pas dire du luxe ; aucune précaution contre le froid, qui est fort vif dans ces parages pendant les longs mois d’hiver.

Sur ces hauteurs s’est développée une race sobre, laborieuse, alerte, également éloignée de la nonchalance romaine, du mvsticisme ombrien, ou de la névrose napolitaine. Les agriculteurs y forment la grande majorité ; les rares artisans qu’on rencontre ne travaillent que pour la consommation locale. Quant aux esprits plus ambitieux, l’horizon étant trop borné autour de leur clocher c’est à Florence, à Pise ou à Sienne qu’ils vont chercher fortune.

Les biographes modernes nous parlent du château dans lequel naquit Léonard ; ils évoquent la figure du précepteur attaché à la famille, la bibliothèque dans laquelle l’enfant trouva un premier aliment à sa curiosité. C’est là de la légende, il faut le proclamer bien haut, non de l’histoire. Il existait bien un château à Vinci, mais c’était un château-fort, une citadelle occupée par les Florentins. Quant aux parens de Léonard, ils n’occupaient qu’une maison, fort modeste très certainement, et encore ne sait-on pas au juste si cette maison se trouvait au bourg même de Vinci ou un peu plus loin, dans le village d’Anchiano. Quant au domestique, il ne se composait que d’une fante, c’est-à-dire d’une servante, aux gages de 8 florins par an.

La famille de Léonard était d’ailleurs absolument étrangère à la culture des arts. Sur cinq des ascendans du peintre, du côté paternel, quatre avaient rempli les fonctions de notaire, et ces honorables officiers ministériels en avaient gardé le préfixe de ser, correspondant à notre mot « maître : » c’étaient le père de l’artiste, son bisaïeul, son trisaïeul et le père de celui-ci. Ne nous étonnons pas de voir cet esprit indépendant par excellence se développer dans une étude encombrée de poudreux dossiers. Les notaires italiens ne ressemblaient pas tous à ceux que nos dramaturges ont traduits sur la scène. Brunetto Latini, le maître de Dante, pour avoir rempli les fonctions de tabellion, n’avait rien de la gravité pédantesque que nous nous sommes habitués à prêter à ses confrères. Un autre notaire, ser Lappo Mazzei de Prato, est connu par des lettres pleines de traits piquans sur les mœurs de ses contemporains et écrites dans le plus pur idiome toscan du XIVe siècle ; au XVe siècle, le notaire de Nantiporto a rédigé une chronique de la cour romaine parfois fort peu édifiante.

Le jeune Léonard connut encore son grand-père paternel, Antonio di ser Piero, âgé de quatre-vingt-cinq ans à l’époque où l’enfant