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qu’il saura contenter toutes les fantaisies du jeune et fougueux vainqueur de Marignan; peu de jours avant sa mort, il recueille encore des notes avec une ardeur juvénile : pourquoi faire? grands dieux ! pour les mettre en œuvre dans l’autre monde ! — Ne serait-ce pas que Léonard représente la Renaissance avec toutes ses aspirations généreuses, et qu’il personnifie ce printemps de l’esprit humain, étouffé dans sa fleur par les luttes religieuses, comme Michel-Ange personnifie l’esprit de révolte, les tristesses, les angoisses de la foi menacée par la science, de la morale si facilement sacrifiée par les humanistes et les artistes, ces trop accommodans courtisans de la tyrannie ! — Si donc je viens étudier ici ce que j’appelle la jeunesse de Léonard de Vinci, il s’agit moins d’une étape dans son développement intellectuel, — nul artiste n’a moins varié que lui, — que d’une division purement chronologique, d’une période sur laquelle des recherches récentes permettent de jeter une lumière nouvelle. Ces recherches, entreprises presque simultanément en France par M. Charles Ravaisson, qui s’est consacré, avec tant de dévoûment, à la publication des manuscrits de Léonard conservés à l’Institut, en Allemagne par M. Richter, en Italie par M. Uzielli, nous ont révélé de nombreux détails sur la famille de Léonard, sur les péripéties de son adolescence, sur ses premiers travaux. Je m’efforcerai à mon tour de compléter les découvertes de mes prédécesseurs, découvertes qui ont surtout eu pour point de départ des documens écrits, par une étude minutieuse des dessins du maître, cette source inestimable d’informations absolument négligée jusqu’ici.


I.

Léonard naquit en 1452, à Vinci, dans les environs d’Empoli, entre Florence et Pise, sur la rive droite de l’Arno. Vinci est une de ces bourgades perdues dans les plis et replis qui forment le Monte-Albano. D’un côté, la plaine avec le fleuve tour à tour à sec ou roulant bruyamment ses flots jaunâtres ; de l’autre, le paysage le plus accidenté, des monticules sans fin, parsemés de villas, et, de loin en loin, quelque massif plus imposant dont la cime dénudée se couvre au coucher du soleil de reflets violacés.

La patrie de Léonard était bien alors telle que nous la voyons aujourd’hui : une nature sévère, plutôt que riante et exubérante, un terrain rocailleux bordé de murs interminables, par-dessus lesquels, aux abords des propriétés, s’échappent quelques branches de rosiers; pour principale végétation, des vignes et des oliviers. De distance en distance, une villa, un casin, une ferme, riante de loin avec ses murs jaunes et ses volets verts ; mais, si vous pénétrez à