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trois-mâts de belle apparence, courant au sud-est, c’est-à-dire les amures à bâbord. Je fis gouverner au sud ¼ sud-est pour lui couper le chemin. A cinq heures et demie, je fis hisser les couleurs anglaises et tirer un coup de canon pour le faire mettre en panne. Il n’en fit rien et continua sa route. Plusieurs coups de canon suivirent le premier et n’eurent pas plus de succès. La nuit survenant nous empêcha de bien reconnaître le bâtiment chassé. »

Ne trouvez-vous pas que le commandant Motard abuse un peu des couleurs anglaises? Il est parfaitement admis que, pour se déguiser, on arbore, en temps de guerre, un pavillon étranger, le pavillon même de l’ennemi. Je ne crois pas qu’il soit loisible, autorisé par les règles du droit des gens, d’assurer, — telle est l’expression reçue, — ces fausses couleurs par un coup de canon. La course, dans ce cas, toucherait à la piraterie. Tout, du reste, est encore confusion et anarchie dans les conventions traditionnelles qui établissent sur mer les relations des belligérans et leurs rapports avec les pavillons neutres. Tant qu’un congrès n’aura pas codifié des coutumes vagues et transmises oralement d’âge en âge, les délicats en fait de point d’honneur courront grand risque de jouer le rôle de dupes. Est-on mieux fixé à l’égard de ces questions sur terre? Nous avons vu récemment le vainqueur, abusant des gages trop nombreux qu’il avait entre les mains, faire renaître des droits qu’on croyait dès longtemps périmés, et tirer de l’arsenal où sommeillaient depuis plus d’un demi-siècle les vieilles lois de la guerre des brutalités et des exigences qui lui ont été fort utiles, mais qu’il eût payées cher, si nous avions été en mesure d’exercer des représailles. Effaçons ce souvenir, ne laissons pas la civilisation, sous prétexte de revanche, rétrograder vers le passé. La guerre n’a plus aujourd’hui les mêmes raisons d’être qu’autrefois. Tout nous inviterait à la supprimer : ne la dépouillons pas, du moins, de ce caractère chevaleresque qui est l’honneur des temps modernes et qui tend à prévenir, mieux que les traités, des rancunes éternelles.

Le capitaine Motard croyait avoir affaire à un navire de la compagnie : il venait, en réalité, de rencontrer une frégate anglaise, l’égale par le tonnage et par l’armement de la Sémillante, la frégate la Terpsichore, commandée par le capitaine William Augustus Montagne. La Terpsichore se rendait de Pointe-de-Galles à Madras. L’historien de la marine anglaise, William-James, nous affirme, — j’ai déjà constaté le fait, — que la Terpsichore, dans un précédent voyage, avait dû débarquer à Madras ses caronades. Nous verrons bientôt que telle ne fut pas l’impression produite sur le commandant de la Sémillante par les premières volées que le capitaine Montagne lui envoya. James est, la plupart du temps, très exact : je crains fort que ce ne soit ici l’historien anglais qui ait raison. « Tout