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n’est que justice, — ont connu l’avantage d’apprendre leur métier sous un si bon maître.

On entrait vent arrière au Grand-Port : on n’en sortait pas aussi aisément, car la direction de la brise varie peu sous les tropiques. Voilà pourquoi le commandant Motard hésitait tant à prendre ce refuge. A peine s’y était-on abrité que l’ennemi arrivait en force et fermait la passe. Entrée au Grand-Port le 23 novembre 1806, la Sémillante y était encore au mois de janvier 1807. L’amiral Baudin a raconté, dans les pages émues qu’il dictait, sur la fin de sa carrière, à ses fils, les deux dernières campagnes de la Sémillante : la croisière de 1807 et le combat de 1808. Nous avons emprunté à ses souvenirs le récit de la croisière de 1807 : nous n’y reviendrons pas[1]. Quant au combat de 1808, il convient de laisser au commandant Motard et à son vaillant second, le lieutenant de vaisseau Duburquois, le soin d’en retracer les phases. Cette affaire, la plus sérieuse et la plus sanglante de toutes, est celle que les historiens maritimes appellent, d’un commun accord, « le cinquième combat de la Sémillante. »

Les rapports du commandant de la Sémillante se font généralement remarquer par un étonnant accent de sincérité. Admiré de ses compagnons, vénéré de ses disciples, estimé par les ennemis mêmes de son pays, le capitaine Motard est, dans toute la force du terme, un honnête homme. Nulle faiblesse dans l’action, nulle jactance dans le récit. On ne saurait proposer à nos jeunes officiers un meilleur modèle. Dans l’extrême Orient, si un fils s’illustre par de grands services rendus à l’état, c’est le père qu’on anoblit. La coutume n’a-t-elle pas un fond de justice? À ce titre, il faudrait tenir compte à l’ancien chef d’état-major de l’amiral Brueys et de l’amiral Ganteaume de la gloire réservée aux deux célébrités qui vont se former sous ses ordres.

« Général, écrit le capitaine Motard an général Decaen, le 10 avril 1808, je me disposai, le 4 février, après avoir reçu à bord les hommes qui m’étaient destinés pour mon complet d’équipage, à mettre immédiatement sous voiles. A quatre heures après-midi, le vent était assez frais du sud au sud-ouest ; j’appareillai de la rade des Pavillons, où j’étais depuis la veille, et, d’après vos ordres, je dirigeai ma route pour aller croiser dans l’Inde. A cinq heures et quart, gouvernant au nord 1/4 nord-ouest, on releva le morne Brabant au sud-sud-ouest 2 degrés ouest, et le coin de mire à l’est 3 degrés sud. Ce relèvement détermina mon point de départ avant

  1. Voyez, dans la Revue du 1er février 1886, p. 608 à 611, la relation de la croisière maintenue par la Sémillante à l’entrée du détroit de Malacca, au mois de juillet 1807.