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de février 1805 mouille en rade de Port-Louis un trois-mâts danois, l’Ahester-Maria. Le capitaine et le subrécargue de ce bâtiment affirment avoir lu dans les gazettes allemandes de la fin d’octobre « qu’à la hauteur de Gibraltar, quatre frégates anglaises ont attaqué quatre frégates espagnoles venant du Pérou. Après un combat très chaud d’une demi-heure, une des frégates espagnoles a sauté; les trois autres se sont rendues aux Anglais. » Quel motif a pu inspirer cette agression? On n’en cite point d’autre que le désir de s’emparer d’un chargement de piastres évalué à 19 millions de francs. Le gouvernement anglais ne désavoue pas ses capitaines : il les approuve et les justifie. C’est inévitablement la guerre à bref délai.

Jetées au bout du monde commercial, tenues, par le plus jaloux des monopoles, en dehors de toute communication avec la navigation étrangère, les Philippines se trouvaient évidemment exposées à n’être pas prévenues en temps opportun de la rupture des relations entre l’Angleterre et l’Espagne : l’amiral Linois, d’accord avec le général Decaen, reconnaît l’urgence d’expédier au capitaine-général des Philippines, don Mariano Fernandez de Fulgueras, l’avis de cet incident gros d’orages, qui met en péril la sécurité de la colonie. La Sémillante est désignée pour porter à Manille l’importante nouvelle. Ce n’est pas un voyage de quelques centaines de lieues qu’on lui réserve : le trajet d’aller et retour se comptera par des milliers de milles.

L’amiral Decrès s’est chargé de condenser, dans un résumé destiné à passer sous les yeux de l’empereur, les détails d’une campagne qui ressemble, sous plus d’un rapport, à une campagne de découverte. La Sémillante, en effet, a tout avantage à éviter autant que possible les sentiers battus : elle aurait trop de chances d’y rencontrer les croisières anglaises. « Je me persuade, écrit le ministre de la marine à l’empereur, que Votre Majesté n’apprendra pas sans quelque intérêt que la frégate française la Sémillante, commandée par le capitaine de vaisseau Motard, officier de la Légion d’honneur, a résisté à tous les mauvais temps, à toutes les contrariétés que l’on peut éprouver dans l’intermédiaire de deux moussons ; qu’elle a soutenu, dans la position la plus désavantageuse, le combat qui lui a été livré par deux vaisseaux anglais et qu’elle en est sortie avec honneur; qu’elle a traversé ensuite avec succès des mers remplies d’écueils et encore peu connues, et qu’elle y a fait des observations assez exactes pour fixer la position de plusieurs points, ce qui est de la plus grande importance pour la sûreté de la navigation. » L’année 1806 ne fut pas pour l’empereur des Français une année de loisir : Napoléon le Grand accorda-t-il