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neutraliser le canal de Panama, de neutraliser sur mer la propriété privée[1] : je voudrais, si la chose était seulement possible, qu’on neutralisât aussi l’Angleterre. Qu’ont à voir les Anglais dans nos luttes de terre ferme? Ils ne possèdent même plus le Hanovre, et ce ne sont pas eux qui défendront la Belgique ou la Hollande.

En 1803, par malheur, l’Angleterre et la France en étaient revenues aux sentimens de la guerre de cent ans. A peine la paix d’Amiens est-elle conclue que le premier consul, inquiet, ombrageux, bondissant sous l’incessante piqûre des pamphlets que vomissent chaque jour les officines anglaises, laisse entrevoir au général Decaen, son représentant, son vice-roi à l’est du cap de Bonne-Espérance, « la grande gloire qui prolonge la mémoire des hommes au-delà des siècles. » Aux dépens de qui le capitaine-général des possessions lointaines, qu’une paix, fruit de l’épuisement universel, vient de nous rendre, pouvait-il acquérir cette gloire que je reconnaîtrai volontiers très enviable? Il est inutile de le demander. Un vaisseau de 74, le Marengo, trois frégates, — la Belle-Poule, l’Atalante, la Sémillante, — deux transports, 1,100 hommes de troupes, partent, au mois de mars 1803, pour les mers de l’Inde, sous les ordres du contre-amiral Linois. Le capitaine Motard commande la Sémillante depuis le mois de juillet 1802. L’enseigne de vaisseau Roussin embarque sur cette frégate le 24 décembre de la même année. L’enseigne de vaisseau Baudin viendra l’y rejoindre au mois de janvier 1807[2].


II.

Entre l’enseigne de vaisseau Baudin et l’enseigne de vaisseau Roussin, il existe une différence capitale. Le premier entra dans la marine avec une éducation achevée, soutenu par les nombreuses et puissantes sympathies que lui léguait son père; le second fut littéralement le fils de ses œuvres. Né à Dijon le 21 avril 1781, fils d’un procureur au parlement de Bourgogne, le jeune Albin-Reine Roussin fut emporté par la tourmente révolutionnaire vers des parages où il semble qu’aucun tourbillon n’aurait jamais dû le jeter. On ne s’étonnerait pas qu’il eût été tambour comme Victor ou Biala ; il fut mousse, et on l’envoya en cette qualité à Dunkerque. Il obtint à ce prix, nous assurent ses biographes, la liberté de son

  1. Voyez la préface de l’ouvrage que j’ai publié récemment sous ce titre : les Corsaires barbaresques ; Plon, Nourrit et C°, éditeurs.
  2. Voyez, dans la Revue du 1er février 1886, page 608, l’embarquement de l’enseigne de vaisseau Baudin à bord de la Sémillante.