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de ses plus chers souvenirs; elle se rendra à l’appel énergique que lui font ses secrets instincts, trop longtemps froissés par la discussion violente et la lutte ingrate ; elle reviendra à son goût pour la campagne, pour ces champs du Berry, théâtre de la première poésie de ses rêves d’enfant ; il y aura en elle comme une éclosion soudaine et inespérée de souvenirs frais et charmans, d’émotions exquises et saines. Enfin, nous nous reposerons avec elle de toutes les agitations et de toutes les haines; la douce lumière, un peu voilée, de la campagne natale finira par éclipser l’éclat fiévreux du réformateur, le rêve enflammé du poète humanitaire.

N’est-ce pas là précisément le cercle parcouru par George Sand, et cette page de biographie intime n’est-elle pas l’histoire en raccourci de ses œuvres?

La première période de sa vie littéraire est toute au lyrisme spontané, personnel. Et comme je voudrais faire ici un tableau non de fantaisie, mais d’histoire, avec la précision relative que comportent ces sortes de divisions d’un caractère tout psychologique, je crois pouvoir étendre cette première période de 1832 à 1840 environ. Dans cet intervalle de neuf années paraissent coup sur coup les chefs-d’œuvre de la première manière : Indiana, Valentine, Jacques, André, Mauprat, Lélia, et la charmante série des contes vénitiens[1].

Rappelons rapidement le sujet des œuvres principales. Nous verrons qu’elles procèdent toutes d’un fonds commun d’émotions et de douleurs personnelles, sans être pourtant la confidence et le récit de sa vie. Mme Sand a toujours protesté contre les applications trop strictement biographiques qui ont été faites de ses premiers romans.

Cependant, il faut s’entendre sur ce point délicat. Indiana, elle nous l’assure, n’est pas son histoire dévoilée. C’était du moins l’expression de ses réflexions habituelles, de ses agitations morales, d’une partie de ses souffrances réelles ou factices ; ce n’était pas sa vie, soit, c’était le roman ou le drame de sa vie, tel qu’elle l’avait conçu sous les ombrages de Nohant. Que ce ne fût pas, je veux le croire, une plainte formulée contre son maître particulier, c’était du moins une protestation contre la tyrannie dans le mariage, personnifiée par le colonel Delmare. C’était aussi la conception, l’idéal d’une femme aimante, telle qu’elle l’imaginait alors; c’est pour son propre compte qu’elle s’intéressait à la peinture d’un

  1. Citons les dates des principaux romans : en 1832, Indiana, Valentine; en 1833, Lélia ; en 1834, les Lettres d’un voyageur et Jacques; en 1835, André et Leone Leoni; de 1833 à 1838, le Secrétaire intime, Lavinia, Metella, Mattea, la Dernière Aldini. Mauprat fut écrit à Nohant en 1836, au moment où elle venait de plaider en séparation. Ces rapprochemens éclairent la pensée de l’auteur.