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Force était donc bien à d’Argenson de s’exécuter, mais avec quelles incertitudes et quels regrets ! la lecture de la dépêche écrite à Vaulgrenant (en même temps qu’un pouvoir lui était envoyé pour entamer la négociation) peut seule en donner une idée. Rarement la prose officielle a trahi à ce degré les sentimens intimes de l’écrivain ; rarement aussi un ministre, en donnant une instruction, s’est montré moins pressé de la voir exécutée. Quelle tristesse d’abord dans le début ! C’est l’accent douloureux de l’amitié déçue. — « Jusqu’ici, dit la dépêche, Sa Majesté a eu peine à croire que le roi de Prusse voulût lui manquer et faire une paix séparée. Les divers avis qui avaient été donnés s’étaient trouvés faux et même démentis par des actions d’éclat, contraires à ce que l’on voulait faire entendre de la négociation de la part de la Prusse pour une paix particulière. Vous savez quelle est l’attention scrupuleuse de Sa Majesté pour marquer en tout les égards et une fidélité exacte à ses alliés, et elle a toujours dû penser qu’elle éprouverait les mêmes sentimens et un parlait retour de la part du roi de Prusse. Mais, s’il est vrai qu’il ait déjà fait son traité avec le roi de la Grande-Bretagne, Sa Majesté n’a plus aucune raison de faire difficulté de traiter de ses différends avec la reine de Hongrie par l’intermédiaire du roi de Pologne. »

L’ami pourtant voudrait douter encore et, en tout cas, bien établir que c’est lui qui est resté fidèle et qui a été trahi. — « Aussi, avant toutes choses, continue d’Argenson, Sa Majesté souhaiterait que vous puissiez avoir plus de certitude de la réalité du traité du 26 août dernier, et que, pour cet effet, le comte de Brühl voulût bien vous montrer la pièce originale dont il vous a donné une simple copie. C’est avec peu d’espoir de l’obtenir que je souhaiterais aussi que, même dans un court préambule des préliminaires, on y mentionnât le traité signé par le roi de Prusse et le roi d’Angleterre, ce qui, dans l’avenir, servirait de preuve que le roi n’a traité de la paix, sans le roi de Prusse, qu’après que celui-ci en a donné l’exemple et en a prescrit lui-même la nécessité. »

Enfin, la dépêche se termine par cette recommandation, destinée à prouver que les bons sentimens persistent malgré l’offense et sont même prêts à renaître : — « Enfin, vous devez bien observer que quelque sujet de mécontentement que le roi puisse avoir du roi de Prusse après un pareil procédé de sa part, Sa Majesté ne veut absolument point entendre parler qu’il soit question de stipulations tendant à lui enlever la Silésie, ou à lui causer, d’ailleurs, aucun