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garde qui se débattait toute seule contre un gros d’hommes armés. C’était une compagnie irrégulière de Pandours, qui, battant la campagne aux environs, avait appris, je ne sais comment, la présence du ministre de France dans le voisinage, et trouvait plaisant de mettre la main sur une si bonne prise. L’hôte, acheté pour un peu d’argent, avait livré sa maison sans se faire prier. Nulle défense à ce premier moment n’était possible. Par bonheur, Valori et son secrétaire, un nommé d’Arget, étaient couchés dans deux petites chambres toutes semblables, ouvrant l’une et l’autre sur le même palier. Le chef de la bande, enfonçant l’une des portes d’un coup de pied, crut pénétrer chez le maître et se trouva en face du serviteur. « Êtes-vous le ministre de France, lui dit-il en braquant le canon de son pistolet sur sa poitrine ? — C’est moi, » dit d’Arget, payant d’audace et sautant en bas de son lit. Le courageux secrétaire eut encore le sang-froid et l’adresse de glisser sous ses couvertures un portefeuille contenant les papiers qui lui étaient confiés. Le Pandour donna ordre qu’on s’assurât de sa personne et qu’on l’emmenât sur-le-champ. Puis il fit procéder à une perquisition qui ne fut, en réalité, qu’un vol en règle. On forçait les armoires, on cassait la vaisselle, on se partageait les effets de l’ambassadeur et de ses domestiques. Tout y aurait passé, si un détachement prussien, averti un peu tardivement par le bruit, ne fût venu mettre l’ordre et taire prendre la fuite aux pillards. Il était temps, car Valori, ne voulant pas se prêter à la fraude pieuse de son secrétaire, allait se livrer lui-même, malgré les efforts de son valet de chambre, qui l’arrêtait à grand’peine en lui mettant la main sur la bouche et en le retenant à bras-le-corps.

D’Arget cependant, gardé à vue, les mains liées, pieds nus et en chemise, dut faire un trajet de plusieurs lieues pour être conduit à la tente de l’officier supérieur qui avait commandé l’équipée, et qui ne se tenait pas de joie d’avoir amené un tel personnage dans un tel accoutrement. D’Arget s’empressa de le détromper, mais son généreux artifice faillit lui coûter cher ; car ceux qui l’avaient amené, furieux qu’on se fût joué d’eux, témoignèrent leur dépit en déchargeant leurs armes derrière son dos, et le soldat prussien qu’on avait fait captif avec lui tomba raide mort à ses côtés. Alors seulement le commandant prit le captif en pitié, lui fit jeter une pelisse sur ses épaules, et lui prêta un cheval pour faire route jusqu’au quartier-général du prince de Lorraine, qui devait décider de son sort[1].

  1. Valori à d’Argenson, 4 septembre ; — d’Arget à d’Argenson, 10 octobre 1745. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Valori, Mémoires, t. I, p. 244.