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simple secrétaire, portant dans sa valise des lettres de créance qui n’étaient pas pour lui, n’imposait pas la même réserve. Les commandans autrichiens en jugèrent du moins ainsi, et ne se firent aucun scrupule de lui refuser malicieusement un laisser-passer. A quoi servait donc l’expérience si récemment faite par Belle-Isle ? C’était la seconde fois que la légèreté et la loyauté françaises étaient prises au piège par le sans-gêne de la rudesse germanique.

Dufour (c’était le nom du secrétaire), tout interdit, alla demander conseil au prince de Conti, qui campait toujours à proximité du Rhin. Le prince ne se trouva guère moins embarrassé ; c’était le cas peut-être pour lui de tenter un coup de tête, en donnant au secrétaire une escorte pour forcer le passage, au risque d’amener un de ces conflits qui, engagés par hasard entre des armées en présence, se terminent souvent à l’avantage du plus audacieux. Mais Conti ne se sentait ni en force suffisante ni assez sûr d’être avoué et approuvé, même en cas de succès, par son gouvernement, pour essayer pareille aventure. On se borna donc à chercher quelque moyen de tourner l’obstacle qu’on ne pouvait franchir, et un moment on s’était arrêté à l’idée d’embarquer le secrétaire sous un déguisement et avec ses lettres de créance dans sa poche, sur un des bateaux marchands qui remontaient le Mein. Mais, réflexion faite, cette manière gauche d’entrer en scène, pour un représentant de la France, sembla, non sans raison, pire encore que de n’y pas paraître du tout. La voie d’eau, d’ailleurs, n’était guère plus sûre que celle de terre, le grand-duc ayant réquisitionné, pour le service de ses troupes, tous les bateaux dont la ville de Francfort disposait ; on les lui avait accordés sans difficulté, et ils sillonnaient la rivière à toute heure. Il fallut donc patienter et parlementer avec les commandans autrichiens, qui finirent par entendre raison, mais seulement quand l’élection fut assez avancée pour que la remise des lettres de créance ne fût plus qu’une formalité inutile. En effet, à partir d’un certain moment du négoce, les électeurs étaient en quelque sorte au secret et ne pouvaient plus communiquer ouvertement avec les ambassadeurs étrangers, qui, de plus, le jour même du vote, devaient sortir de la ville, sauf à stationner quelque part dans les environs, jusqu’à ce que le résultat fût connu. En attendant, Saint-Severin, pour ne pas rester tout à fait inactif, se résolut à aller trouver personnellement l’archevêque de Mayence et à lui faire connaître en termes officieux (puisqu’ils ne pouvaient être officiels) le désir de sa cour de voir la diète surseoir à un choix qui ne lui paraissait pas suffisamment préparé. — « Il y a assez longtemps, lui répondit sèchement le prélat, que l’empire est privé de chef ; l’obligation de mon office