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faisait complètement défaut aux prédicateurs, qui étaient d’ailleurs assez mal choisis : car c’était, à Trêves, un ancien commissaire de gendarmerie, Renaud, homme de mauvaise façon, qui avait eu le tort de brutaliser plusieurs fois, sans motif suffisant, le vieux prélat ; à Cologne, à la place du spirituel de Sade, un ecclésiastique mal famé, l’abbé Aunillon, choix personnel de d’Argenson, qui avait placé en lui une confiance peu justifiée ; enfin à Munich, toujours le triste Chavigny, complètement discrédité depuis que le jeune électeur bavarois, comme un pupille révolté, s’était échappé de sa tutelle. Tous durent reconnaître que leurs exhortations étaient sans effet, tant qu’elles restaient purement morales, et proposèrent de les renforcer par d’autres procédés qui l’étaient moins, et que d’Argenson, dont la délicatesse ne paraissait répugner qu’à l’emploi de la force, ne se fit pas scrupule d’accepter. Une bourse de 2,000 ducats fut offerte au chancelier de l’électeur de Trêves, et une somme de 8,000 écus d’Allemagne aux ministres de l’électeur de Cologne, à raison de 2,000 écus par mois tant que le grand-duc ne serait pas élu empereur ; ce dernier point confié aux tendres soins d’une grande dame, la comtesse de Brandt, qui avait régné, disait-on, sur l’esprit de l’électeur, et qu’on fit revenir à Cologne tout exprès pour essayer de rétablir son influence.

Vaines tentatives : l’électeur de Trêves était désormais tout en Dieu, on ne pouvait plus le faire sortir des considérations mystiques. — « Ne voyez-vous pas clairement le doigt du Seigneur ? disait-il au résident de France ; c’est la Providence qui a conduit par la main M. de Belle-Isle dans le piège d’Elbingerode ; c’est elle qui, par la mort de l’empereur, a fait la paix de la Bavière ; la prudence des hommes ne peut rien contre la volonté divine. » Quant à l’électeur de Cologne, son honneur était intraitable : il avait promis, il avait juré, il voulait tenir ; l’abbé Aunillon ne pouvait que s’étonner de trouver si incorruptibles des gens si corrompus. — « Il m’écoute, ajoutait-il, avec un phlegme dont je ne fais pas honneur à sa philosophie[1]. »

Les prétentions de d’Argenson étaient pourtant devenues des plus modestes, car tout ce que, faute de mieux et en désespoir de cause, il se bornait maintenant à demander aux princes qu’il tentait de séduire, c’était de se prêter à l’ajournement de l’élection et de s’opposer par des délais, qu’il était toujours aisé de motiver, à une précipitation peu ordinaire, d’ailleurs, dans les habitudes germaniques. Non qu’il eût cessé d’avoir un candidat de son choix, et même d’exprimer tout haut ses sympathies et ses préférences pour le roi

  1. Renaud et l’abbé Aunillon à d’Argenson, juillet et août, passim. (Correspondances de Trêves et de Cologne. — Ministère des affaires étrangères.)