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cela a retenti à La Havane et a provoqué quelques manifestations, une certaine agitation. Les manifestations semblent déjà apaisées, les embarras restent pour le ministère, qui aura sûrement à répondre devant les chambres et de ses légèretés et des réformes qu’il se propose de réaliser à Cuba.

Ce n’est, si l’on veut, qu’un incident. Le malheur est que depuis quelque temps les incidens se pressent dans les affaires politiques et ministérielles de l’Espagne. Tantôt, comme on l’a vu aux derniers jours de la session, c’est le ministre de la guerre, le général Cassola, rencontrant la plus vive résistance au sujet de ses projets de réforme militaire et frappant de révocation en plein sénat un de ses directeurs, considéré dans l’armée, le général Primo de Rivera. Tantôt c’est la malencontreuse aventure du général Salamanca et sa querelle avec le ministre d’outre-mer, M. Balaguer. Le plus souvent, ce sont des conflits à peine déguisés, toujours prêts à renaître, entre les membres du cabinet qui représentent des opinions différentes. On va ainsi, et le secret de tous ces incidens, c’est que le ministère, divisé lui-même, placé en face des divisions de sa majorité, est réduit à flotter entre toutes ces directions sans rien prévoir, à paraître souvent se contredire. Le voyage de la reine dans les provinces basques est sans doute pour le moment une diversion heureuse, et le président du conseil y a trouvé une occasion favorable pour laisser aller les choses avec sa nonchalance un peu fataliste. Il faudra pourtant se décider, et c’est là justement ce qu’il y a de délicat pour M. Sagasta, qui est au pouvoir depuis près de deux ans, qui, après avoir épuisé tous les expédiens ministériels, semble bien près d’être au bout de sa diplomatie. Placé entre les constitutionnels modérés représentés par M. Alonso Martinez, par le général Martinez-Campos, et les libéraux plus avancés, dont le ministre des affaires étrangères, M. Moret, est un des chefs, M. Sagasta a mis jusqu’ici son art à tout concilier. Il a réussi à vivre, non à se faire une majorité bien sûre ni même à maintenir l’unité dans son cabinet, éprouvé par de perpétuels conflits intimes. Il ne peut songer à se présenter de nouveau devant les chambres avec le cabinet tel qu’il est, et la difficulté pour lui est de faire un choix sans s’aliéner les modérés constitutionnels ou les libéraux démocrates.

C’est là la question qui s’agite dans les paisibles loisirs de Saint-Sébastien : elle contient cette autre question d’une évolution complète de la politique espagnole, d’un changement possible de ministère, qui peut être la première épreuve sérieuse pour une régence popularisée par sa bonne grâce au-delà des Pyrénées.


CH. DE MAZADE.