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Que le ministère espagnol, à la veille du voyage de la reine régente dans les provinces du nord, ait eu à craindre une fois de plus des agitations révolutionnaires, peut-être quelque tentative nouvelle d’insurrection militaire préparée dans l’ombre par des conspirateurs obstinés, c’est possible, on l’a dit. Le gouvernement de Madrid a eu, dans tous les cas, l’habileté ou la bonne fortune de déjouer ces projets de sédition, désavoués d’ailleurs tout récemment encore par le plus éloquent des républicains, M. Castelar ; mais ce n’est pas peut-être par la république que le ministère espagnol est le plus menacé aujourd’hui : sa faiblesse est dans sa situation, dans sa politique, dans les incidens qui le poursuivent, qui se succèdent comme pour lui tendre à tout instant de nouveaux pièges.

Le dernier de ces incidens est ce qui vient de se passer au sujet de l’île de Cuba, qui, au dire d’une dépêche américaine de fantaisie, aurait été encore une fois en pleine insurrection. La belle possession espagnole des Antilles n’est nullement insurgée ni même sérieusement menacée ; il y a seulement à Cuba une vieille plaie : la corruption administrative. Le fait est que de tout temps, sous tous les ministères, Cuba a été un peu considérée comme une contrée où les Espagnols maltraités par le sort vont refaire leur fortune moyennant quelques fonctions de finance ou de douane. C’est la terre privilégiée où fleurissent tous les abus, qui ont des complices ou des protecteurs jusqu’à Madrid, et toutes les fois qu’on veut toucher à cette exploitation organisée de la riche colonie, l’émotion est grande, toutes les influences s’en mêlent, les conflits éclatent. Il y a quelque temps, un capitaine-général de l’île, le général Calleja, a voulu faire quelques exemples : il a rencontré aussitôt mille difficultés, et il a préféré rentrer en Espagne. Le ministère a cru faire merveille en choisissant pour remplacer le gouverneur démissionnaire le général Salamanca, dont il craignait l’opposition au sénat et dont il trouvait l’occasion de se débarrasser par un beau commandement quelque peu lointain. Malheureusement, le général Salamanca est un de ces militaires, comme il y en a tant dans d’autres pays, qui aiment le bruit, qui ne peuvent rien faire comme les autres. À peine nommé, le général Salamanca a commencé par trop parler. Il a eu, lui aussi, ses indiscrétions, ses affaires d’honneur à propos de la divulgation de ses conversations. Il a sonné la trompette, annonçant qu’il allait tout réformer à Cuba, et s’érigeant même assez sottement en adversaire ou en censeur du ministre d’outremer. Il a si bien fait que le gouvernement s’est vu réduit à annuler le décret qui le nommait gouverneur de l’Ile de Cuba, au risque de se désavouer lui-même. Comme il fallait cependant faire quelque chose et ne pas paraître reculer devant la corruption, le commandant provisoire de Cuba a été chargé de procéder à quelques épurations. Tout