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bien clair que cette combinaison réveille les plus puissans antagonismes, que tout ce qui peut attester la prépondérance russe dans les Balkans n’est pas de nature à être accepté sans résistance par l’Autriche. La contradiction des politiques éclate encore une fois, et c’est ici que M. de Bismarck entre en scène avec l’intention bien apparente de reprendre son rôle « d’honnête courtier. » Évidemment, M. de Bismarck a manœuvré de façon à regagner l’amitié ou l’alliance de la Russie en maintenant comme elle l’autorité du traité de Berlin, en soutenant sa politique dans les Balkans, sans trop se séparer toutefois de l’Autriche. Quelle est la mesure des concessions qu’il est disposé à faire au cabinet de Saint-Pétersbourg ? Était-ce là l’objet primitif de cette entrevue de l’empereur Guillaume et de l’empereur Alexandre III, qui avait été peut-être rêvée et qui s’en est allée en fumée ? Toujours est-il que le chancelier de Berlin se sert visiblement aujourd’hui de ces affaires bulgares comme il s’est servi de tant d’autres incidens, et ce n’est pas ce qui en diminue la gravité.

Depuis longtemps, sans doute, l’Angleterre n’avait en une Session aussi laborieuse, aussi prolongée, aussi traînante. Le parlement encore réuni a de la peine à arriver au terme de ses longs débats, qui ont eu presque tous invariablement un objet unique, et il ne va prendre ses vacances ces jours prochains, peut-être aujourd’hui, que pour laisser le gouvernement de la reine aux prises avec une de ces questions qu’un vote parlementaire ne peut pas résoudre, que la force tranche encore moins. Toute cette session s’est passée à disputer sur les affaires d’Irlande et sur le bill de coercition, et sur le bill agraire et sur l’abolition de la Ligue nationale. Le ministère a tenu à être armé de toutes pièces ; il l’a été avec l’appui des libéraux unionistes, qui l’ont soutenu jusqu’au bout, en dépit de l’opposition obstinée, infatigable de M. Gladstone, de ses amis et des députés irlandais. Aujourd’hui, la lutte est engagée ; elle ménage sans doute de rudes épreuves et peut-être plus d’une surprise au gouvernement, qui entreprend de réduire une nation animée d’une passion inextinguible, façonnée par une oppression séculaire à toutes les extrémités et à toutes les ruses de la résistance. La lutte a commencé par la proclamation qui est comme le préliminaire de la suppression de la Ligue nationale, qui a visiblement la prétention d’atteindre cette Ligue, maîtresse souveraine de l’Irlande, dans son organisation, dans ses moyens d’action, dans ses chefs, et elle s’est ouverte, il faut l’avouer, dans des circonstances particulièrement pénibles. Pour son début, cette répression nouvelle qu’on inaugure est accompagnée des cris des malheureux expulsés de leurs fermes, de leurs maisons, et chassés comme un troupeau sur les chemins. Ces jours derniers, en effet, ont commencé des scènes faites pour retentir douloureusement non-seulement en Irlande, mais en Angleterre et partout où il y a un sentiment d’humanité. On a vu se