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de Scaramouche, une telle celui de soubrette, que celui-ci a chanté une ariette, celui-là dansé un pas de trois. » Quelques facéties que prépare la Providence pour les siècles futurs, jamais tragédienne acclamée dans les deux mondes, jamais général populaire, ne fatiguera la renommée autant que fait Mlle Clairon ; si ingénieux que soient les entrepreneurs de flatteries publiques, ils n’inventeront guère d’hommages qu’elle n’ait connus : n’a-t-on pas frappé sa médaille, et ses partisans ne se font-ils pas honneur de la porter comme une décoration ? Les débuts de Lekain sont un événement, une réjouissance presque civique. L’apparition de Mlle Raucourt est une fête où se déclare un enthousiasme religieux : riant et pleurant à la fois, les spectateurs s’embrassent entre eux, sans se connaître, à la russe : « Christ est ressuscité ! » Sophie Arnould menace de se retirer : c’est une calamité nationale. Quand Préville est souffrant, peu s’en faut qu’on ne fasse des prières publiques ; l’orateur de la troupe annonce sa guérison : « Une maladie cruelle vous a privés longtemps d’un acteur comique que vous aimez, j’oserais dire que vous adorez, et que vous reverrez bientôt avec transport. » Molé, convalescent, a besoin d’un peu de bon vin : il en reçoit deux mille bouteilles, Guéri, à présent, il ne sait pas cacher qu’il doit 20,000 livres ; une représentation à son bénéfice, chez M. d’Esclapon, en produit 24,000, dont, plutôt de que payer ses créanciers, il achète des diamans à sa belle. Pour conserver à la France un autre endetté, le danseur Dauberval, que la Russie attire, Mme Dubarry ouvre une souscription, ou plutôt elle établit une taxe ; et la recette, en quelques jours, s’élève à 90,000 livres. Larive, à Bordeaux, rentre chez, lui en marchant sur des lauriers. La Saint-Huberty arrive par mer à Marseille, vêtue à la grecque, sur une gondole portant le pavillon de la ville, escortée d’une flotte de deux cents chaloupes ; elle débarque au bruit des feux d’artifice et des acclamations ; elle couronne le vainqueur d’une joute ; elle s’entend nommer la dixième Muse, dans un à-propos allégorique, et Apollon, au son de l’artillerie, lui remet son diadème. C’est Cléopâtre, celle de Tiepolo, justement, descendue de sa gondole, et pour qui toute une multitude a les yeux d’Antoine. Mais que vais-je évoquer cette royauté morte ? A Paris même, et déjà vingt ans plus tôt, un jour de spectacle gratis, Mlle Clairon, et Dubois ont fait largesse au peuple en criant ; « Vive le roi ! » et le peuple, instruit de ses devoirs, a répondu : « Vivent le roi et Mlle Clairon ! Vivent le roi et Mlle Dubois ! »

Il était temps, pour les amis de l’égalité, que la Révolution française vint rabaisser les acteurs, en les élevant au rang de simples citoyens.


Louis GANDERAX.