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maître et nous sommes esclaves. » Talma aurait eu raison, à cette époque, encore plus que sous la Restauration, d’exprimer le vœu plaintif qu’il adressait à Charles Young, avec son offrande pour le monument dédié à John-Philip Kemble dans l’abbaye de Westminster : « Pour moi, je serai bien heureux si les prêtres me laissent enterrer dans un coin de mon jardin. » Tandis que le corps d’Adrienne Lecouvreur, repoussé de Saint-Sulpice et du cimetière, n’est enfoui que par grâce ou plutôt par mesure de voirie, Anne Oldfields, après une exposition solennelle, partage la sépulture de ses rois, « Rome, » d’autre part, « de qui nous avons appris notre catéchisme, n’en use point comme nous. » Songez que, si la parole de Voltaire est parole d’évangile, « on a vu jusqu’à la pièce de Georges Dandin exécutée à Rome par des religieuses, en présence d’une foule d’ecclésiastiques. » Dans tous les cas, selon l’argument qu’il suggère à son abbé Grizel, et qui n’est pas des plus sots, « le pape est assez puissant en Italie pour n’avoir pas besoin d’excommunier d’honnêtes gens qui ont des talens estimables. » D’ailleurs, l’Église romaine, comme nous savons, n’a pas retenu ces fameux canons des premiers conciles. Aussi, même à Paris, et même Français, les acteurs de la troupe italienne ont-ils licence d’être chrétiens. Au XVIIe siècle, Arlequin et Pantalon, quelques années avant d’être expulsés pour l’incorrigible obscénité de leur répertoire et de leur mimique, ont figuré dans les processions et tenu les cordons du dais ; Scaramouche, plus heureux que Molière, a été honoré d’imposantes funérailles à Saint-Eustache. Mlle Camille, en 1768, meurt d’avoir mal vécu : honni soit qui mal y pense ! Aucune renonciation à son métier (c’est de son métier de comédienne qu’il serait question) ne lui a été imposée. Son âme s’envole, vers le purgatoire sans doute, munie de tous les sacremens ; ses restes, j’allais dire ses reliques, sont inhumés dans une église. Il fait bon relever de Rome !

Le clergé régulier, qui ne dépend pas d’un autre pouvoir, offre à nos Comédiens, il est vrai, certaines consolations pour tant de rigueurs gallicanes : Augustins, Récollets et Carmes acceptent à l’envi une aumône mensuelle, sans compter les Capucins, qui, à titre de pompiers du théâtre, reçoivent un subside hebdomadaire désigné par cette mention : « chandelles des religieux. » Les Cordeliers a supplient très humblement » la « chère compagnie » de les admettre parmi ses pauvres. Mais le clergé séculier lui-même ne dédaigne pas à l’occasion de toucher l’argent de ces excommuniés : lorsqu’il s’agit de libérer la fabrique de Saint-Sulpice, qui a des dettes criardes, l’hôtel de la Comédie a l’honneur d’être taxé à une jolie somme. Quand la maison souillée par un acteur doit fournir le pain bénit, on ne l’exclut pas de cette charge plus que les autres maisons de la paroisse : on