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« Dans les investigations qui concernent les lois de l’univers, cherchez la plus haute raison, elle sera toujours la vraie. Ce qui semble à peine possible n’est souvent si peu distinct que parce que c’est écrit au plus profond de l’esprit, parmi les vérités éternelles. La science empirique est susceptible d’obscurcir notre vue, et, par la connaissance même des fonctions et des procédés, de priver celui qui s’y livre de la contemplation de l’ensemble… Que le naturaliste le plus instruit prête à la vérité une attention dévote et entière, il verra qu’il lui reste beaucoup à apprendre sur ses relations avec le monde et que l’on n’apprend cela par aucune addition ou soustraction ou autre comparaison de quantités connues, mais par les saillies non enseignées de l’esprit, par la possession de soi, par l’humilité absolue. Il s’apercevra qu’il y a des qualités bien plus excellentes chez le savant que la précision et l’infaillibilité, qu’on peut souvent recueillir plus de fruits en devinant qu’en affirmant d’une manière indiscutable, qu’un rêve enfin peut nous faire pénétrer plus profondément dans le secret de la nature que cent expériences concertées[1]… »

Aux théories du maître, à sa large synthèse de la nature, Burroughs ajoute cependant force variantes ; il ne veut pas que le poète se repose avec trop de confiance sur la connaissance intuitive et qu’il néglige la vérité des détails. Tel est le fond de l’ingénieuse petite étude sur la Nature et les Poètes, un morceau qui pourrait donner à réfléchir au naturalisme de M. Zola, coupable, on le sait, dans un de ses romans, d’avoir fait fleurir ensemble toutes les fleurs de l’été. Jamais Shakspeare, qui admettait cependant sans aucun pédantisme les conventions favorables à l’art, n’a erré en matière de zoologie ou de botanique, sauf quand il reproduit les superstitions inhérentes à son époque ; mais personnellement — M. Burroughs le prouve, — il se montre observateur aussi attentif des choses des champs et des bois que s’il eût passé sa vie en contact avec elles. Bryant, le père de la poésie américaine, a d’aventure sacrifié la vérité à la rime, quoique ses paysages aient un renom mérité d’exactitude. Longfellow, quand sa fantaisie l’emporte, ne s’arrête guère à demander : « Est-ce vraiment ainsi ? .. » Il passe outre, et pourtant il a écrit l’un des beaux poèmes naturalistes : la Pluie en été. — Le lecteur surprendrait bien rarement une fausse note chez Whitlier, qui a rendu mieux qu’aucun autre dans Snow-Bound la physionomie de l’hiver au nord de l’Amérique. Emerson est presque impeccable ; néanmoins, son élève le reprend respectueusement à propos

  1. Emerson, la Nature.