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accords flottans comme les ombres du soir, l’orchestre répond, tendre, plaintif, un peu étouffé par les ténèbres qui l’enveloppent. Ah ! le souffle de Dieu passe parfois sur la face de l’homme ! Jamais la musique religieuse n’avait connu d’aussi longues, d’aussi enivrantes extases. Le sang lumineux éclaire seul le théâtre, et des voûtes profondes, sur ces hommes qui prient, sur cet homme qui souffre, tombent sans cesse de nouveaux concerts. La coupole n’est plus qu’une sphère harmonieuse, vibrant tout entière comme un orgue gigantesque. La terre, qui s’est tue pour écouter le ciel, va parler à son tour. Les chevaliers se relèvent tous d’un même élan et entonnent à l’unisson un choral magnifique. Le voilà, le sang de la nouvelle alliance, le ferment mystérieux d’une foi plus ardente et d’un amour plus passionné ! Lorsque Bach a chanté dans sa Passion la Cène véritable, il a senti moins d’émotion en la présence même de Jésus que Wagner à son seul souvenir.

Maintenant les chevaliers se retirent en silence, et sur eux planent toujours les paroles de paix et de consolation : « Heureux celui qui croit ! Heureux celui qui aime ! » Toute la tendresse, toute la pitié du christianisme est dans ces admirables pages. La voix même de Jésus ne fut pas plus douce aux échos de Galilée que la voix de ces petits enfans ; elle promettait ainsi aux esprits simples, aux cœurs purs les ineffables béatitudes. Wagner, au moment de mourir, a contemplé dans toute leur splendeur les clartés auxquelles il fermait trop souvent les yeux. Quand il déroule à travers cette longue scène le cortège magnifique de ses pensées, quand il élève par assises régulières, symétriques, ce temple grandiose, il reconnaît, après les avoir tant de fois violées, les immuables lois du beau. Il dit à Dieu : « Je veux vous imiter, Seigneur, qui avez tout placé dans la mesure et le nombre (Omnia in mensura et numéro disposuisti)[1]. »

Une autre scène religieuse est plus étrange encore et beaucoup moins belle que celle-là : c’est la scène de l’onction de Parsifal et du baptême de Kundry. Le mystère ici fait place au tableau de sainteté avec accompagnement symphonique. Tableau de maître, je veux bien, mais surtout de maître décorateur, et qui doit beaucoup plus à la mise en scène et au talent des interprètes qu’à la musique même. Certes, l’orchestre de Wagner est toujours intéressant ; il ramène avec une merveilleuse variété de rythmes et de timbres les idées mères de l’ouvrage ; mais on se lasse de ces retours incessans et de la pantomime, si éloquente qu’elle soit. Durant tout le troisième acte, Kundry n’a pas une note à chanter ; elle fait des gestes et prend des poses, voilà tout. L’idéalisme allemand s’accommode

  1. Sagesse.