Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chez Senta, du Vaisseau-Fantôme, chez Lohengrin, chez Sieglinde et Brunehild, de la Valkyrie, enfin chez Parsifal, le dernier et le plus compatissant des héros wagnériens.

Voilà bien de la philosophie ! Mais notre époque en demande même aux arts, et Wagner a toujours prétendu faire œuvre de philosophe autant que de musicien. Il y a parfois réussi, et les scènes religieuses de Parsifal sont d’un grand penseur et d’un grand artiste ; celles-là seulement, car les autres sont insupportables. Ainsi le second acte entier, à l’exception de la valse lente des jeunes filles-fleurs, est un abîme d’ennui. Mais le second et le dernier tableau sont d’étonnantes merveilles.

Après une première scène, remplie de ces récits fatigans, de ces entretiens interminables, que Wagner a vraiment inventés, des beautés se découvrent, qu’il a inventées aussi. Le décor change lentement : forêts, rochers passent, disparaissent, et le jour blanchit le faite d’une haute salle, sorte d’église byzantine éclairée par une coupole immense. Aux sons d’une marche religieuse, aux tintemens graves, presque douloureux de cloches lointaines, deux portes s’ouvrent et laissent passer en double cortège les chevaliers du Graal vêtus de robes bleues et de manteaux écarlates. De jeunes néophytes, des enfans consacrés les suivent, avec les corbeilles et les amphores saintes. Un bel adolescent tient le précieux calice, et, le dernier de tous, lentement porté sur une litière, pâle et mourant, Amfortas parait. Les chants pieux se font entendre : voici pour le malheureux roi l’heure de prier et de souffrir. Vainement il demande grâce ; en un Miserere poignant, il implore de Dieu la fin de son supplice. Les temps ne sont pas encore accomplis, et les voix éloignées ne répondent à ses cris d’angoisse que par la vague promesse du sauveur mystérieux, « Attends, murmurent-elles, attends l’homme ignorant et pur, instruit par la pitié ; mais en l’attendant fais ton devoir ; » et l’infortuné, se soulevant avec peine, ôte le voile du Graal. L’obscurité se fait profonde, les timbales roulent sourdement et l’orchestre frémit tout bas de respect et de terreur. Tous les chevaliers sont prosternés et se taisent. Alors, du sommet de la coupole descendent de divines psalmodies ; des enfans chantent là-haut, comme si leurs voix seules étaient assez pures pour de semblables prières. Deux fois elles disent une longue phrase traînante, qui se répercute en échos infinis. Rien de plus beau que ces cantiques au-dessus de cette immobilité, de ce silence. Et quels cantiques ! « Prenez et mangez, ceci est mon corps ! Prenez et buvez, ceci est mon sang ! Faites ainsi en souvenir de moi. » Les mélodies sont d’une envergure extraordinaire, elles déploient des ailes immenses. Après chaque verset, les voix se taisent, et sous des