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ou basses, a l’âpreté des douleurs farouches, presque la fixité des yeux qui ne peuvent même plus pleurer. Sur un sourd grondement de timbales, deux flûtes mélancoliques soupirent, et, soudainement attendrie, l’âme de Madeleine se fond ; de ses lèvres tombent des strophes désolées. A chacun des versets funéraires, les saintes femmes répondent par une longue clameur. Enfin, quand pour la troisième fois l’angoisse monte au cœur et l’étreint, quand l’orchestre se précipite et s’égare, quand un cri déchirant brise la voix de Madeleine, alors ses compagnes reprennent sa plainte inachevée, et longtemps encore on entend ruisseler avec les larmes le lamento des pleureuses sacrées.

Elles s’éloignent, et Madeleine demeure. Inquiète du silence qui s’est fait, elle frissonne ; un souffle passe sur ses cheveux, elle regarde et voit Jésus. Jésus lui dit : « Marie ! » Marie, s’étant retournée, lui dit : « Maître[1] ! » La musique a rendu presque par le silence l’instantanéité de cette apparition et la simplicité de cette reconnaissance. Le Christ de M. Massenet est bien celui de l’Évangile, celui des vieux peintres florentins : un beau jeune homme vêtu de blanc, disant, un doigt sur les lèvres, à Madeleine : Noli me tangere ! Il reprend avec douceur la phrase du duo ; mais Madeleine, éperdue, lance sur ces mots : Christ est vivant, ressuscité ! une gamme triomphale, un cri sublime de passion et d’amour, auquel répondent les saintes femmes, les disciples et les anges au plus haut des cieux.

Voilà ce que de nos jours la musique d’oratorio a produit de plus parfait. L’analyse de l’ouvrage montre assez quelle distance le sépare des ouvrages classiques. L’art de Bach et de Haendel était-il plus près de Dieu que le nôtre ? Je ne le pense pas. D’ailleurs, que nous importe ? Jouissons des aspects divers et des beautés successives que l’esprit humain découvre dans l’idée divine. La Marie-Magdeleine de M. Massenet n’est peut-être pas une œuvre de foi ; mais elle est, et cela suffit, une œuvre de poésie, de respect et d’amour.

Le Parsifal de Wagner est le produit d’un art encore plus moderne, et surtout plus étrange, spécial à un peuple, presque personnel à un homme. L’œuvre, comme son auteur, mérite une place à part. Que dis-je, une place ? Il en faudrait plus d’une, la première parfois, la dernière souvent, au maître inégal entre tous, à cet esprit de lumière et de ténèbres, où parurent peut-être les contrastes les plus violens, les plus étonnantes vicissitudes du génie de l’homme, et de sa démence. Wagner eut toute sa vie, en véritable Allemand,

  1. Saint Jean, chap. XX.