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au P. Lacordaire, cette femme a arraché de tels accens. Nul n’a su prêter de froides paroles à celle qui ne fut pardonnée que pour avoir beaucoup aimé.

Au second acte, Jésus a promis de venir chez Madeleine, et les deux sœurs pour le recevoir ornent leur logis. Le goût moderne voulait ici de la couleur ; M. Massenet en a mis avec discrétion : quelques filets d’or, et voilà tout. Point de palais à la Véronèse ; une simple maison d’Orient : des fleurs et des parfums sous un plafond de cèdre. Le clair petit entr’acte, le chœur des servantes, traversé par la phrase exquise de Marthe, décrivent sobrement l’hospitalité respectueuse, un peu craintive, qu’on prépare à Jésus. « Marthe, chante Madeleine, voici que le soleil descend derrière la blonde colline, » et l’étrange cadence de la phrase exprime avec une langueur adorable l’évanouissement du jour. Jésus paraît sans bruit et reçoit en silence l’hommage des deux femmes agenouillées. Tout bien examiné, peut-être la représentation gâterait-elle d’aussi délicates beautés. Elles se perdraient sur une grande scène, ces deux voix qui suivent en contre-point leur suave mélodie. Elles chantent d’abord sans accompagnement, dans le silence du soir ; puis un violoncelle seul ajoute encore à leur tendresse, et Jésus, debout sur le seuil, répond à leur double bienvenue par une bénédiction.

Marthe se relève, laissant à sa sœur la meilleure part. Alors s’engage entre Jésus et Madeleine un entretien mystique et tendre, plus affectueux qu’une homélie, mais plus chaste qu’un duo profane. A la fin de chaque reprise seulement, l’alliance étroite des voix, leur entrelacement accentue avec quelque passion la pieuse causerie. Heureux les artistes qui savent ainsi les nuances du cœur ! Le temps à lui seul est un grand artiste sous ce rapport : il marque les nuances entre les œuvres des époques diverses. Rappelons-nous comment priaient les prophètes de Haendel, avec quel éclat, quelle violence même ! Tout autre est ici l’oraison de Jésus et de ses disciples ; ce n’est plus le Credo, mais le Pater : après la prière de foi, la prière d’amour. L’amour encore exalte la douleur de Madeleine affaissée au pied de la croix, l’amour lui arrache des cris superbes ; l’amour enfin l’amène éplorée à la porte du sépulcre où l’on a couché son ami divin. Voici la scène admirable que je voudrais voir au théâtre, le tableau religieux auquel siérait le cadre de Bayreuth. Dans l’œuvre entier de M. Massenet, cette page n’a pas de rivale. Rarement la musique a courbé la tête d’une femme sous le poids d’un pareil chagrin. Quel deuil elle traîne avec elle, l’infortunée ! Tout le long de l’introduction, quels gémissemens et quels sanglots ! Le récitatif entrecoupé, écrit en notes moyennes