Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/419

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

créateur que Cherubini, ce docte et fidèle gardien du génie classique, il a fait faire à la musique sacrée un pas plus décisif que Beethoven lui-même. Ici, par hasard, le maître des maîtres n’a pas droit aux premiers honneurs, et si les messes de Beethoven, la messe en surtout, offrent de sublimes beautés, son oratorio du Christ au mont des Oliviers ne supporterait pas le voisinage d’Élie et de Paulus.

Paulus, c’est l’oratorio porté à sa perfection, le dernier et le plus bel exemplaire de ce genre musical. Après lui, le courant artistique va se détourner : les Requiem, les Messes se feront rares ; les oratorios : l’Enfance du Christ, Marie-Magdeleine, plus mouvementés et plus descriptifs, cesseront d’être comme autrefois de longs récits pieux. Enfin, le théâtre, à son tour, aura des drames à demi sacrés, et l’on emportera de l’Opéra des impressions religieuses.

Paulus a pour sujet le martyre de saint Étienne, la conversion et l’apostolat de saint Paul. Comme la Passion ou le Messie, c’est un fragment de l’Écriture mis en musique. Mais, sous l’ancienne forme, perce la jeune pensée ; le vin nouveau fermente dans les vieilles outres, — sans les briser toutefois, — et le contraste, ou mieux la conciliation de cet appel à l’avenir avec cet adieu au passé, l’heureux accord de cette espérance et de ce souvenir, caractérise comme toujours le génie de Mendelssohn, fait de passion et de sagesse.

Le Mendelssohn de Paulus a la force sans la raideur classique. Sa vaste partition baigne dans la lumière ; à chaque pas une clairière s’ouvre, et toujours une mélodie s’envole. Quelle souplesse prend le rythme sous cette main ! Avec quelle grâce il se courbe ! En quels détours charmans il ondule et se dérobe ! Depuis Bach et Haendel, l’âme humaine s’est rapprochée de Dieu ; elle le prie avec moins de gêne, avec plus de confiance ; avec un tendre abandon elle lui dit ses besoins, sa misère. Et qu’on ne soupçonne pas ici Mendelssohn de mièvrerie ou de mondanité. Notre pays, qui connaît le charme du maître, s’étonnerait, à l’audition de Paulus, d’en découvrir la puissance. Il verrait alors que Mendelssohn a été avec Halévy, avec Meyerbeer, un des plus magnifiques interprètes de la pensée religieuse. Il se souviendrait peut-être que tous trois étaient israélites, et quand on lui dirait que les Juifs n’ont créé dans l’art « aucune figure originale, puissante ou touchante, aucune œuvre maîtresse[1], » il répondrait en nommant Paulus, la Juive, les Huguenots et le Prophète. Le fanatisme et la haine, les pamphlets de Wagner ou les autres n’empêcheront pas qu’en musique il y ait

  1. La France juive, par M. Édouard Drumont.