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Ainsi chantaient sur les sommets les vieillards de Michel-Ange ; ainsi leurs oracles tombaient sur les plaines attentives, du haut des cimes visitées de Jéhovah. Oui, les prophètes devaient clamer ainsi, et l’art ne prêta jamais plus grandiose figure ni langage plus magnifique à ces devins sacrés, à « ces étonnans publicistes, » comme les appelle M. Renan, plus étonnant lui-même.

A la force de Bach, Haendel ajoute quelque grâce. Sa naïve pastorale de Noël est un sourire d’enfant : Incipe, parve puer… Même charme dans plus d’un aimable cantique, où le musicien pourrait dire de lui-même ce qu’il dit du Seigneur avec une douceur infinie : Sa chaîne est légère, son joug n’est pas lourd. Il allège le style de son grand devancier ; il entr’ouvre la fenêtre, que Haydn et Mozart ouvriront bientôt toute grande. De cette fenêtre il voit un peu de nature, un peu d’horizon, et quand les anges annoncent la Nativité, leur simple récit de quelques mesures frissonne au vent de la nuit.

Toutefois, Haendel parle rarement à voix basse ; il possède surtout l’éclat et l’énergie, la griffe du lion de Juda. L’Évangile n’a point amolli dans son âme la vigueur un peu rude de l’Ancien-Testament, et le génie biblique domine ses plus chrétiennes inspirations. Dans un Credo triomphal qui ouvre la troisième partie du Messie, l’idée religieuse est affirmée, jetée aux quatre coins du monde avec une hardiesse, une sûreté de foi victorieuses ; la cadence habituelle, trop habituelle même à la phrase du maître, se relève ici d’un essor inattendu, puis redescend, noble comme l’aigle, qui même en se posant donne encore de grands coups d’aile. Le chœur : Frères, c’est pour nous qu’il donne sa vie, est le mea culpa de toute l’humanité ; le lamento suivant : Pleurez, cœurs fidèles, dont la terminaison nous semble encore nouvelle aujourd’hui, n’a pas d’égal dans la Passion. Le célèbre Alléluia n’a d’égal nulle part ; c’est le cantique universel, catholique au vrai sens du mot. Les cris presque hurlés en des tonalités toujours plus retentissantes, la progression des voix de femmes éclatant par-dessus les autres, les fanfares de trompettes, tout cela fait de cette vocifération sacrée l’hymne de l’univers emporté vers Dieu par quelque assomption gigantesque.

« Celui-là est le père de tous, » disait Haydn de Haendel. L’auteur des Sept Paroles pouvait retrouver sur son œuvre quelque reflet du Messie, cette lumière pure, encore un peu pâle, un peu froide, de l’époque primitive. L’oratorio de Haydn comprend sept adagios, sept grandes prières, paraphrasant chacune une plainte du Christ en croix. L’ordonnance des morceaux est majestueuse ; le style en est toujours noble, mais leur succession est monotone, et