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celles qui leur ont paru les plus sûres et les plus vraies. » S’il est des vérités relatives qui durent si peu, la beauté passe plus vite encore, et devant ses variations constantes, on se demande avec amertume, d’elle ou de nous qui change le plus, si c’est elle qui nous manque, ou nous qui la trahissons. Il faut se l’avouer, en dût-on souffrir, le beau, même le plus vivement senti, le plus ardemment aimé, n’est ni absolu ni éternel, comme le vrai logiquement démontré et formellement reconnu. L’amour, hélas ! a des retours, des reprises de soi, que ne connaît pas la conviction. Si la raison ne répudie jamais un axiome, le cœur se refroidit pour plus d’un chef-d’œuvre, et le savant, mais non l’artiste, oserait dire avec Jésus : « Mes paroles ne passeront pas. »

Cette mobilité, cet éternel renouveau de l’idéal esthétique donne aux études d’art, surtout aux études rétrospectives, une certaine mélancolie. Hélas ! que de chemins à remonter, déjà bordés de tombeaux ! Que d’œuvres fêtées par un siècle, oubliées par le siècle suivant ! Entre deux générations, des foyers s’éteignent, des sources tarissent. Que dis-je ? Notre propre cœur a battu jadis, hier même, là où il ne battra plus demain. Ayons des larmes pour les choses qui meurent comme les êtres. Il y a des choses véritablement mortes au fond de notre âme, et sur leurs restes indifférens, nous ne jetons plus de fleurs.

Mais le progrès incessant et la perpétuité de l’art nous consolent de ses métamorphoses, voire de ses ruines ; il faut construire avec des débris, et que la vie sorte de la mort. Toutes deux se rencontrent au cours d’une étude comme celle-ci. L’on y trouve des astres éteints, frères de ces vieilles lunes qu’Henri Heine disait reléguées dans une céleste armoire, mais on y voit aussi des astres à leur zénith, d’autres à leur aurore. On y peut comparer des œuvres fanées et des œuvres à peine écloses, saluer avec respect de vieilles idées, avec amour des pensées fraîches et vierges ; évoquer le passé, regarder le présent, deviner l’avenir. Assez de beautés survivent, assez naîtront encore après les beautés mortes. Rattachons-les toutes ensemble ; renouons ce collier, dont par bonheur une perle ne tombe guère sans qu’une autre la remplace. Des fantômes adorés se sont évanouis ; ceux qu’on adore aujourd’hui s’évanouiront sans doute. Qu’importe, si tant que l’on dure soi-même, on garde au moins l’illusion bienfaisante de leur immortalité ?

Au point de vue chronologique, il est malaisé de fixer rigoureusement la fin d’une époque ancienne et le commencement d’une ère nouvelle. Phénomènes intellectuels et moraux obéissent avec les autres à la loi des transitions, et dans l’esprit de l’homme comme sur sa tête, ni la nuit ni le jour ne se font tout d’un coup. Des