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assez, selon nous, n’exprimant qu’une opinion un peu vague sur cette affaire ; ils ont détruit le clergé comme corps de l’état, alors qu’il suffisait de l’appauvrir, et imaginé cette « funeste invention du clergé constitutionnel, » c’est-à-dire d’un corps de fonctionnaires hostiles ; ils n’ont voulu ni des deux chambres, alors que les élémens en étaient tout prêts, ni du veto royal, qui était la royauté consolidée parce que limitée. Ils ont, — et c’est ce que Mme de Staël a vu pleinement et mis admirablement en lumière, — ils ont été démocrates radicaux du premier coup. Une seule chambre concentrant tous les pouvoirs, légiférant, administrant, gouvernant, et rien dessous, ni dessus, ni à côté ; un roi en peinture, sorte de président ou plutôt de doyen de république, et une assemblée omnipotente, et par-dessous des électeurs et des fonctionnaires : c’était la démocratie pure, la « démocratie royale, » comme on disait alors, c’est-à-dire décorée d’un trône. Du premier bond, la France passait de la monarchie absolue à la Convention. Car la première Convention ç’a été la Constituante. La France, de 1788 à 1790, n’a fait que changer d’absolutisme. Les constituans ont cru établir un état quand ils ne faisaient que déplacer le gouvernement. C’est à cette faute initiale que Mme de Staël revient toujours, parce que (sans qu’elle l’ait dit) son esprit est toujours dominé par le souvenir de l’empire. C’est à l’empire qu’elle voit que toutes choses tendent dans un pays où les niveleurs n’ont laissé que des fonctionnaires pour un grand administrateur, des soldats pour un général, des sujets pour un césar, et l’anarchie pour le faire désirer.

Et cependant cette révolution, dont Mme de Staël démêle si bien les fautes, elle l’aime fidèlement, profondément. Elle voit bien qu’au fond de cette politique si peu éclairée, si peu informée, si téméraire, il y a quelque chose de très pur et de très noble, un sentiment infiniment fort d’humanité et de justice. Si les révolutionnaires ont poursuivi avec fureur l’égalité sous toutes ses formes, c’est que, si elle n’est pas la justice, elle lui ressemble, et à des esprits un peu simples en donne l’illusion. S’ils ont détruit, ou achevé de détruire, toutes les assises superposées de l’édifice national, c’est qu’à l’état de débris où elles étaient, elles semblaient moins des appuis que des barrières. S’ils ont établi l’égalité politique qui est dangereuse, dans le même sentiment ils ont créé l’égalité civile qui est justice, équité, fraternité, paternité plutôt, et semble faire descendre un peu de ciel sur la terre. Ils ont voulu la justice égale pour tous, et facile et clémente ; et ils l’ont faite. Ils ont voulu la jurisprudence criminelle sincère et douce, sans ombre, sans piège, sans torture, sans parti-pris ; et ils l’ont faite. Ils ont voulu les emplois publics accessibles à tous les Français, ce qui,