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pas très vivement. Elle n’était donc point gênée pour sentir un art tout différent et pour s’y attacher d’une pleine ardeur ; et précisément cet art qu’elle rencontrait était le mieux accommodé qu’il fût possible à son tour d’imagination et de sensibilité. Un art qui n’avait, en effet, rien de classique, ni de pseudo-classique, une littérature qui n’était ni de seconde ni de première imitation, qui ne devait, même ses défauts, qu’à elle-même, qui séduisait au moins par son incontestable naïveté, voilà ce qu’elle découvrait du premier regard. Or le grand charme de Mme de Staël, c’est sa candeur, sa spontanéité. Personne ne fut plus qu’elle d’élan et de premier mouvement, de pleine sincérité, si ce n’est Delphine ; mais cela revient à peu près au même. Elle trouvait devant elle des poètes et des romanciers qui ne voulaient connaître et qui en effet ne connaissaient guère ni « règles » ni « modèles, » qui n’imitaient point, ne légiféraient point, et même ne se surveillaient pas beaucoup. Il y eut sympathie, parce qu’il y avait parenté. Elle entrait peu dans l’art antique, et, partant, tout l’art classique français sorti de la Renaissance, en pleine maturité au XVIIe siècle, et se prolongeant par imitation à travers le XVIIIe, la laissait un peu indifférente. Elle rencontrait une littérature qui n’avait pas eu de Renaissance, trait singulier qui la met à part en Europe ; une littérature qui, après la période d’influence française, influence faible, parce qu’elle n’était qu’une sorte de contre-coup, naissait à proprement parler, prétendait bien, de temps en temps, se rattacher au moyen âge, au fond se cherchait, s’essayait, prenait conscience d’elle en elle-même et s’inspirait de soi. A tout prendre, en ce qui est art pur, Mme de Staël, sans le même succès, n’avait pas fait autre chose. Enfin et surtout (car tout ce qui précède n’est que négatif), elle se trouvait en présence d’une littérature qui, sauf exceptions que nous verrons plus tard, était éminemment subjective. Sentiment, imagination, rêve, tout ce que la littérature classique en France, à son déclin surtout, présentait si peu ; tout ce que Rousseau, qu’elle n’oubliait point, lui avait appris, elle le trouvait là à chaque page, à profusion, et la profusion n’était pas pour lui déplaire.

Les mauvais plaisans disent : « Le fond de l’art des Français consiste à avoir la vue très claire et en éprouver une très grande satisfaction. Le fond de l’art allemand consiste à avoir la vue trouble et en éprouver une éternelle mélancolie, mêlée d’une certaine fierté. » Il y a du vrai dans cette boutade. Élevés, vers 1550, par des hommes qui mettaient une admirable perfection de forme dans l’expression de sentimens simples ; appliqués tout d’abord à imiter surtout la forme de ces maîtres antiques ; dans ce moule, toujours respecté, versant ensuite des sentimens plus complexes, mais simples encore, et