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obéit, et maintenir par cette exaltation même une communication éternelle entre nous et Dieu ! — Mais cette communication constante, c’est l’esprit même du christianisme ? — Sans aucun doute, répond Mme de Staël, et c’est avec raison qu’un philosophe allemand a dit « qu’il n’y a pas d’autre philosophie que la religion chrétienne ; » ce qui veut dire que « les idées les plus hautes et les plus profondes conduisent à découvrir l’accord singulier de cette religion avec la nature de l’homme. »

Voilà qui est formel, et pourtant je ne sais si Mme de Staël est aussi chrétienne qu’elle croit l’être. Quand on y regardera de très près, on en reviendra toujours à reconnaître que le christianisme est obéissance et abandonneront à la voix intérieure, il est vrai ; qu’il admet et appelle le concours du sentiment avec cette voix intérieure, il est vrai encore ; qu’il est aussi amour de Dieu et sacrifice aveugle, sans considération d’intérêt ni contrôle de la raison, à cet amour, d’accord ; — mais qu’il est surtout humilité. Or ce dialogue entre nous et notre âme, si purifiée sait-elle, c’est une condition de la vie chrétienne, ce n’est pas le christianisme ; parce que ce n’est pas l’humilité. C’est chrétien, ce n’est pas l’état chrétien. Là encore l’amour-propre a son droit et l’orgueil sa prise. C’est un acheminement bien plutôt au mysticisme qu’au christianisme d’un Bossuet ou d’un Pascal. Cette absorption de nous en Dieu, qui est l’effort de tout mysticisme, se ramène toujours à une absorption, je ne veux pas tout à fait, dire à un anéantissement, de Dieu en nous-même. Au fond, dans cet état, c’est nous, très pur, que nous adorons. Le christianisme a bien su ce qu’il faisait en plaçant la loi-devoir en Dieu, et Dieu très en dehors et très loin de nous. Il ne faut pas qu’à sentir Dieu en nous-même, nous devenions trop familier avec lui.

Je ne m’égare point en parlant du mysticisme ; car c’est bien au mysticisme que Mme de Staël est arrivée, au moins pour y passer un instant. Son goût pour cet état d’esprit est antérieur à ses dernières années, et ne laisse pas d’être déjà très sensible dans l’Allemagne. Son chapitre sur la mysticité est bien curieux. On y retrouve ce besoin, éternel chez elle, de « mettre l’amour dans la religion, » de faire pénétrer l’idée religieuse, comme toute autre idée, dans un sentiment ; et l’on y voit aussi le grand souci qu’a Mme de Staël de ne pas dissoudre l’activité humaine dans un état d’âme qu’on accuse, non sans apparence, d’engourdie et d’endormir la volonté. Elle assure que le mysticisme ne rend indifférent qu’à ce qui ne vaut pas qu’on le veuille, mais, cette part faite, laisse d’autant plus l’âme active pour la réalisation des œuvres de liberté et de justice. Les deux tendances primitives de Mme de Staël se