Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentimental, et plus rêveur, et plus moral, celui qui, par tout ce qui était en lui, s’accommodait mieux à la nature de Mme de Staël, celui qu’elle devait avoir, qu’elle avait confusément rêvé à travers l’autre.

Aussi elle s’y jeta de tout son courage. Très librement, ne s’astreignant à aucun système, prenant de chacun ce qui agréait à son esprit et à son cœur, et, au besoin, corrigeant Kant par Jacobi, elle se fît un ensemble d’idées qui a la conception du devoir pour fondement, qui admet le libre arbitre, la spiritualité de l’âme, la vertu comme une force particulière à l’homme, et l’immortalité de l’âme comme une conséquence logique de tout cela. Elle tient à ce dernier point, ne veut pas croire que la croyance aux récompenses futures soit un retour à la morale de l’intérêt, pense que « l’immortalité céleste n’ayant aucun rapport avec les peines et les récompenses que l’on conçoit sur cette terre, » et le compte qu’on fait sur le salaire de là-haut n’étant pas autre chose que le sacrifice d’un bonheur actuel que l’on sent à un bonheur rêvé qu’on espère, c’est-à-dire d’une jouissance à une idée, « les prémices de la félicité religieuse sont le sacrifice de nous » et la forme même de l’absolu désintéressement. Se ramenant toujours à ces quelques idées fondamentales, elle aimait tous les systèmes allemands dans ces idées, se plaisant à ce qui les rapproche et s’embarrassant peu de ce qui les divise, et résumait sa pensée philosophique dans cette belle vue d’ensemble : « Que l’un croie que la divinité se révèle à chaque homme en particulier, comme elle s’est révélée au cœur humain, quand la prière et les œuvres ont préparé le cœur à les comprendre ; qu’un autre affirme que l’immortalité commence déjà sur cette terre pour celui qui sent en lui-même le goût des choses éternelles ; qu’un autre croie que la nature fait entendre la volonté de Dieu à l’homme, et qu’il y a dans l’univers une voix gémissante et captive qui l’invite à délivrer le monde et lui-même en combattant le principe du mal ; ces divers systèmes tiennent à l’imagination de chaque écrivain… Mais la direction générale de ces opinions est toujours la même : affranchir l’âme de l’influence des objets extérieurs, placer l’empire de nous en nous-mêmes, et donner à cet empire pour loi le devoir, pour récompense une autre vie. »

— Mais c’était là, ou bien peu s’en faut, un acheminement ou un retour vers le christianisme ? — C’était à la fois y aller et y revenir. Au fond de l’âme, Mme de Staël avait toujours été chrétienne. Un christianisme très indépendant, et, reconnaissons-le, très hétérodoxe, un christianisme de raison et non de foi, détaché et dégagé des dogmes, et, il me semble bien, à peu près exactement