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Contades partit le jour même, muni du billet suivant, fort adroitement tourné :


Strasbourg, le 21 février 1714.

Monsieur,

M. le marquis de Contactes est arrivé, et je croirais pouvoir vous supplier de vous rendre à Rastadt, dans la confiance que j’ai que le peu de changemens qu’il apporte aux articles n’empêchent pas la signature du traité, si je ne voulais suivre exactement la parole que je vous ai donnée de ne pas vous retenir s’il y avait quelque changement. Je crois donc, monsieur, devoir vous envoyer M. de Contades, pour qu’il ait l’honneur de vous l’expliquer lui-même, et je veux espérer que j’apprendrai bientôt par lui que je puis compter d’avoir l’honneur de vous voir et de consommer le grand ouvrage auquel nous avons travaillé avec une aussi parfaite et sincère ardeur de réussir.

J’aurai l’honneur de vous dire, monsieur, que vous pouvez ajouter entièrement foi à ce que M. de Contades vous dira de la part du Roi et de la mienne, étant informé par Sa Majesté même de ses intentions, et vous trouverez qu’elles vont uniquement à rendre solide la paix, le peu de changement qu’il y a dans les articles n’ayant d’autre objet.


Eugène accueillit avec un extrême empressement le message et le messager de Villars. Quinze jours de contact avec l’armée et les fonctionnaires de l’empire l’avaient confirmé dans ses premières impressions et convaincu de la vive répugnance que chacun éprouvait pour la guerre. La nécessité de la paix lui était apparue plus clairement que jamais, et, écartant toute velléité contraire, il s’efforça sincèrement de la conclure. Contades, fidèle interprète des volontés royales et des impatiences de Villars, ne la désirait pas plus ardemment ; mais tous deux étaient liés par des instructions contradictoires et de plus séparés par des préventions anciennes. Eugène ne croyait pas à la sincérité de Louis XIV, et, à Versailles, on doutait, non sans raison, des intentions pacifiques de l’empereur. L’effet des premières communications de Contades fut de dissiper les préventions d’Eugène : l’habile récit qu’il lui fit de son voyage à Versailles, de ses entretiens avec le roi et les ministres, le tableau qu’il lui traça du vieux roi résistant avec fermeté aux partisans de la guerre, faisant tous les sacrifices compatibles avec son honneur, mettant toute sa confiance dans la loyauté et le bon jugement de lui, prince Eugène, qu’il savait animé des mêmes intentions, cet