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vainqueur à faire la loi, non à la subir ; à Villars, non à Eugène, à parler en maître. Torcy ne savait pas faire la part du caractère des deux négociateurs. Voysin, qui, par métier, pouvait mieux que Torcy apprécier les chances aléatoires de la guerre, était plus disposé à la conciliation ; il était en meilleurs termes avec Villars ; comme lui, il appartenait à la clientèle de Mme de Maintenon. Villars avait continué à lui écrire, bien que les opérations de guerre fussent suspendues, à faire passer ses courriers par son département, à le charger de ses communications confidentielles pour Mme de Maintenon. Cette dualité ne plaisait pas à Torcy, et la mauvaise humeur qu’il en ressentait s’ajoutait encore aux autres inconvéniens de la situation.

Ce concours de circonstances, ce conflit d’intérêts, de caractères, d’amours-propres devait faire durer trois mois une négociation qui aurait pu être terminée en quelques semaines.

La première semaine d’escarmouches avait pourtant assez éclairci les situations pour que les deux négociateurs aient pu se rendre un compte à peu près exact des conditions auxquelles l’accord se ferait. Eugène n’avait pas tardé à comprendre que les seuls points sur lesquels les instructions de Villars ne lui permettaient aucune concession étaient la conservation de Landau fortifié, une compensation pour Fribourg et le rétablissement des électeurs. Aussi, tout en disputant ces trois points avec une grande âpreté, tout en menaçant de rompre à leur sujet, évitait-il avec soin d’en faire l’occasion d’une rupture. Sur les autres conditions, au contraire, il l’avait pris de si haut, et avec des expressions telles, que toute discussion était devenue difficile. Il avait déclaré que l’électeur de Bavière, traître à sa patrie, mis au ban de l’empire, n’avait droit à aucun égard de la part de l’empereur ; lui rendre ceux de ses états qui n’avaient pas été aliénés était déjà excessif, mais demander pour lui « un dédommagement, » exiger que l’empereur récompensât sa félonie par une augmentation de territoire et le titre de roi, c’était vouloir la guerre. Les armées françaises seraient à Lintz que l’Autriche ne se soumettrait pas à une pareille humiliation Quant au mariage de l’archiduchesse, c’était une affaire de famille qui ne regardait pas le roi de France ; avant d’aspirer à sa main, le prince de Bavière devrait savoir la mériter par sa fidélité et sa soumission aux lois de l’empire. La demande d’une souveraineté pour la princesse des Ursins était « honteuse ; » Eugène ne se chargeait pas de la transmettre à l’empereur et refusait même de l’inscrire au protocole des conférences, et ainsi de suite. Enfin, pour accentuer encore l’attitude qu’il avait prise, et sans doute aussi pour se couvrir vis-à-vis de l’empire, Eugène avait remis à Villars un mémoire écrit