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Vienne n’entendait ouvrir que des négociations préliminaires, et se réservait de traiter ensuite au nom de l’empire sur les bases qui eussent été convenues. Eugène n’avait pas le pouvoir de signer[1]. Villars refusa catégoriquement de passer outre ; Eugène dut se munir de pouvoirs plus étendus, et, en attendant qu’il les eût reçus, donner une déclaration écrite qui en tenait lieu.

Cette première difficulté avait pris deux jours, et c’est le 20 novembre seulement qu’on put aborder sérieusement les conditions de la paix. Nous ne saurions suivre pas à pas et jour par jour, pendant les trois mois qu’il dura, le duel diplomatique qui s’engagea entre les deux hommes de guerre ; nous ne saurions davantage analyser les nombreuses pièces qui remplissent plusieurs gros volumes des archives de Paris et de Vienne[2]. Nous nous bornerons à exposer dans leur ensemble les phases successives de la négociation, en nous attachant particulièrement au rôle de chacun et aux incidens qui faillirent plusieurs fois faire échouer la paix.

Comme il arrive souvent dans les affaires de ce monde, les plus grosses difficultés ne surgirent pas à propos des points les plus importans, mais à l’occasion des questions secondaires. Quel était l’intérêt primordial à régler ? La frontière commune de la France et de l’empire. La frontière du nord avait été réglée à Utrecht ; le maintien de Philippe V sur le trône d’Espagne n’était plus contesté par l’Autriche. D’autre part, les conquêtes de l’Autriche en Flandre et en Italie n’étaient pas contestées par Louis XIV. Faire enregistrer ces avantages respectifs dans un acte public ne paraissait pas une tâche difficile. La question de la frontière commune n’offrait pas au fond de difficultés plus sérieuses : la frontière de Ryswick était tacitement acceptée de part et d’autre. Restaient, il est vrai, les conquêtes de Villars, Landau et Fribourg ; mais on devait savoir à Vienne que Louis XIV ne rendrait pas Landau, et on devait s’y résigner ; et quant à Fribourg, Louis XIV ne se souciait pas de le garder, non plus qu’aucune des places de la rive droite du Rhin : il lui suffisait de recevoir une compensation équitable. Ainsi, la compensation de Fribourg à débattre, c’était au fond à quoi se réduisait le règlement des intérêts directs de la France et de l’Autriche. Il suffisait de quelques jours pour le terminer.

Mais, de part et d’autre, il y avait des conditions accessoires d’un

  1. C’est le système qu’Hundbeïm avait développé à Villars, le 24 octobre, et que celui-ci n’avait pas assez catégoriquement repoussé ; mais le roi avait donné à cet égard des instructions formelles.
  2. On trouvera le texte des pièces principales et l’analyse des autres dans l’ouvrage déjà cité de M. de Courcy.