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désir de faire la paix ; certainement « sa hauteur est au plus haut point, » et il met volontiers le marché à la main, menaçant de se retirer et de rompre à chaque résistance sérieuse ; mais il est lié par des instructions qu’il n’approuve pas toujours, et « certainement il n’y a aucune finesse dans ses procédés. » Ne lui a-t-il pas dit un jour : « Vous voulez bien, monsieur le maréchal, que je jure de vous par moi, et je vous supplie de juger de moi par vous-même… Nous traitons en gens d’honneur, d’une manière bien éloignée de toutes les finesses que plusieurs estiment nécessaires. Pour moi, j’ai toujours pensé, et je sais que vous pensez de même, qu’il n’y a pas de meilleure finesse que de n’en pas avoir. « Il dira une autre fois : « Gens comme nous ne sont pas faits pour plaider ; » et l’honnête Villars d’enregistrer avec sa candeur de parvenu des assimilations aussi flatteuses et d’une sincérité si manifeste, s’efforçant de justifier, en traitant à cœur ouvert, l’estime d’un prince qui jugeait si bien son monde et était de si grande maison.

Au même moment, voici le portrait que le prince traçait à l’empereur de son confiant interlocuteur : « Le maréchal est diffus, confus et embarrassé,.. se contredisant à tel point qu’il est difficile de savoir quand il dit la vérité… Il est craintif, très peu informé des négociations précédentes, ne peut rien prendre sur lui ; .. se croit obligé d’envoyer des courriers et de demander des ordres pour le plus petit détail. » En trois jours de conversations conduites avec un art consommé, Eugène a percé à jour les espérances, les inquiétudes, les secrets mobiles de Villars, pesé sa force de résistance, mesuré les limites dans lesquelles il peut se mouvoir. Il croit pouvoir affirmer à l’empereur que le maréchal ne veut plus faire la guerre ; elle lui a donné tous les avantages et toute la gloire qu’il en pouvait espérer : il lui faut maintenant la gloire de faire la paix, l’honneur d’être le pacificateur de l’Europe. Mais il craint les courtisans de Versailles, qui ne l’aiment point ; se défie de Torcy, qui aurait désiré un autre ambassadeur ; ne redoute rien tant qu’une rupture, qui l’exposerait à être rappelé et remplacé par un autre. « S’il dépendait de luy, écrivait en même temps Eugène à Sinzendorf, il sacrifierait tout ailleurs, pourvu qu’il obtint quelque chose par ici pour pouvoir se faire un mérite de sa cour. » En menaçant de se retirer, Eugène se croyait sûr de vaincre toutes les résistances sur les points où la liberté de son interlocuteur n’était pas enchaînée par des instructions positives.

Villars débuta pourtant par un succès. Quand les pleins pouvoirs des deux ambassadeurs furent comparés, il se trouva qu’ils n’étaient pas identiques : Louis XIV voulait une paix complète, et son représentant avait la faculté de signer un instrument définitif. La cour de