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Français[1]. » L’entretien dura quatre heures. Nous avons les rapports adressés par les deux interlocuteurs à leurs gouvernemens respectifs ; celui de Villars est un peu incohérent, mais, comme il l’écrivait lui-même à Torcy en l’envoyant : « Il ne faut pas demander de l’éloquence à un général qui est à la veille de donner un grand assaut. » Celui de Hundheïm est au contraire méthodique, prodigue de détails. Par la comparaison de ces deux documens, il est très facile de reconstituer la scène. Villars demande à Hundheïm ses pleins pouvoirs ; Hundheïm répond qu’il n’en a pas et ne saurait en avoir, la cour impériale étant restée absolument étrangère à tous les pourparlers engagés avec l’électeur palatin : il n’a d’autre mission que d’écouter les propositions françaises. Villars refuse d’aller plus loin et s’étend en un long discours sur les succès qu’il a obtenus, ceux que la guerre lui réserve encore, le grand besoin qu’a l’empire de la paix, la lassitude des princes qu’il faut « traîner au combat par les cheveux. » Comme il est « bon orateur, dit Hundheïm, et très prolixe en ses discours. » qu’Hundheïm lui-même ne ménage ni les reparties, ni les digressions, l’entretien se prolonge inutilement pendant deux heures ; enfin, l’envoyé palatin propose au maréchal de dépouiller le caractère officiel et de s’entretenir officieusement de la grande œuvre qu’il s’agit de mener à bien : « Chacun sait que sa gloire et sa réputation ont été par l’épée portées à un si haut point qu’il ne lui manque rien au monde pour les rendre immortelles, que de procurer la paix ; » il ne refusera pas de lui faire connaître son sentiment personnel et de lui dire s’il croit que le roi se contentera des conditions offertes à Utrecht. Villars ne peut résister à cette attaque directe, et, tout en se défendant, accepte une conversation que son habile interlocuteur sait faire toucher à tous les points importans. Hundheïm croit pouvoir déduire des réponses qu’il provoque que Louis XIV ne rendra pas Landau, que peut-être demandera-t-il un équivalent pour Fribourg, — si Villars prend cette place, — que pour les deux électeurs il ne demandera pas moins que leur rétablissement intégral, — qu’il se contentera, en Italie, de la restitution des états occupés à leurs possesseurs légitimes, — et insistera pour le mariage d’une archiduchesse avec le prince de Bavière. Hundheïm insinue que son maître pourrait échanger avec Max-Emmanuel le Haut-Palatinat contre une partie de la Flandre. Villars ne rejette pas complètement cette idée ; enfin, Hundheïm lui demande s’il croit suffisant que le prince Eugène soit muni du pouvoir de traiter avec lui, sans le pouvoir de signer, ce pouvoir ne devant être donné qu’après l’adhésion de

  1. Rapport d’Hundheim. (Archives I. R. de Vienne.)