Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hors ligne et hors concours pour les services rendus par le dispensaire, services dignes de la reconnaissance nationale[1]. »

En sortant de cette maison, qui n’est que celle de la charité, j’ai avisé sur ma droite, rue Jacquier, un grand bâtiment en brique, de hautes dimensions et ayant un faux air de manufacture. Je me suis enquis : « Qu’est-ce que c’est ? — Une école professionnelle pour les aveugles. — A qui appartient-elle ? — Mme Heine-Furtado l’a fait construire, l’a dotée et l’a donnée à la Société des ateliers d’aveugles, dont M. Schickler est le président. » Cela me fait penser aux contes de Perrault ; suis-je donc chez la marquise de Carabas de la bienfaisance ? Je suis entré : au rez-de-chaussée et au premier étage sont des ateliers où travaillent ceux qui vivent dans les ténèbres ; ils apprennent à faire des brosses, des plumeaux, des balais, ils tissent des tapis en sparterie, et tâchent de pourvoir aux besoins de leur existence en travaillant à des métiers où la délicatesse du toucher peut remplacer la vue. Parmi les ouvriers, je remarque un nègre qui, tout en besognant, se dandine et roule de gros yeux blancs d’un aspect étrange dans son visage noir. La maison est un externat ; on n’y couche pas, mais on y gagne sa vie.

L’exemple de Mme Heine-Furtado suffirait à prouver que la communauté israélite de Paris, tout en étant très maternelle pour les siens, porte secours, autant qu’elle le peut, au groupe social au milieu duquel elle a posé sa tente. Exclusive par ses mœurs et par sa

  1. Rapport de M. le baron Larrey sur la statistique du dispensaire Furtado - Heine.
    La commission du prix Montyon de statistique, parmi les travaux nombreux et remarquables qu’elle a examinés cette année, a cru devoir d’abord signaler, hors ligne et hors concours. Mme Furtado-Heine, qui a donné son nom à un magnifique dispensaire fondé par sa munificence.
    Le dispensaire Furtado Heine est destiné au traitement des enfons pauvres ou de ceux de la classe ouvrière atteints d’affections chroniques, telles que la scrofule, la tuberculose, le rachitisme ou d’autres maladies réputées incurables, et à peu près privés des secours de l’assistance publique, sinon exclus de la plupart des hôpitaux.
    Cette fondation, toute nouvelle et essentiellement charitable, fonctionne à peine depuis trois années, sans distinction aucune de nationalité ou de religion, et déjà l’affluence des petits malades amenés aux consultations diverses du dispensaire dépasse par milliers toutes les prévisions.
    Les relevés statistiques du dispensaire Furtado-Heine en démontrent la proportion, pour la période des deux premières années 1884-1885, et promettent les plus sûrs développemens d’une œuvre non-seulement reconnue d’utilité publique, mais digne de la reconnaissance nationale.
    C’eut enfin un devoir pour la commission de statistique de signaler cette œuvre de bien à la haute appréciation de l’Académie.
    Au mois de juillet, Mme Heine-Furtado a été nommée « chevalier » de la Légion d’honneur.