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visiter le dispensaire et me permettre d’assister à sa consultation. J’ai été surpris de voir un sergent de ville en faction dans le couloir qui donne accès aux salles d’attente. Pourquoi ce délégué de l’autorité municipale au seuil même du « temple d’Esculape ? » Parée que toutes les mères qui viennent consulter a le fatal oracle d’Épidaure » se bousculent, s’injurient et volontiers se crêperaient le chignon si l’on n’y mettait bon ordre. Chacune veut passer la première, malgré le numéro d’ordre qu’elle a reçu en arrivant et qui indique le tour de consultation. Le bon gardien de la paix se promène philosophiquement, et n’a pas souvent à intervenir ; mais s’il n’était pas là, le combat ne tarderait pas à s’engager, comme il s’engageait lorsque ces braves femmes étaient abandonnées à leur propre sagesse. Une première inspection est faite dans la salle d’attente par un élève en médecine, qui opère une sorte de classement entre les enfans, selon le genre d’affection dont ils souffrent. Le médecin est entré dans son cabinet, il a revêtu le tablier traditionnel, il s’est assis ; à côté de lui, sur un guéridon, sont placés les instrumens et les médicamens usuels. Un de ses élèves tient la plume, prêt à écrire les observations et les ordonnances. Lorsqu’un enfant est admis pour la première fois à la consultation, il reçoit une fiche portant un numéro ; ce numéro est reporté sur un registre où l’on inscrit le nom, l’âge, l’adresse du malade, l’observation concernant la maladie et le traitement prescrit. De la sorte, l’état civil et l’historique du mal peuvent être immédiatement constatés. Pendant l’exercice 1880, le docteur Edouard Meyer est venu cent deux fois à son cabinet du dispensaire et a examiné 7,185 malades ; c’est une moyenne de 70 enfans par consultation. Ceux que j’ai vus étaient plus nombreux (95 enfans, dont 40 garçons et 55 filles).

Le défilé a commencé ; les petits malades entrent par groupes de 8 ou 10, accompagnés de leur mère. Je n’ai pas aperçu un seul homme, ce qui s’explique par le seul fait du labeur quotidien. Dans le cabinet du médecin, il n’est pas besoin de sergent de ville : tout le monde est sage et silencieux. Chétifs, maigrelets, visiblement émus, les enfans s’approchent un à un, la mère les suit, prête à fournir des renseignemens qui ne sont propres qu’à exercer la perspicacité du docteur, « Votre fille est aveugle ? — Ça se peut bien. — Depuis quand ? — Voilà quelque temps. — Comment le mal s’est-il déclaré ? — Ça est venu comme ça. » Essayer de tirer de ces pauvres cervelles un éclaircissement ou une observation, c’est peine perdue. Le médecin a vite fait d’étendre un enfant sur ses genoux ; d’un tour de main il a retourné la paupière et cautérisé les granulations : à un autre ! — Les plus petits se